Le Symptôme. Entre amour et invention

Avec son grand-père psychiatre, Augustin Ménard est tombé très jeune dans le berceau de la parole et du langage, ce qui lui donna le désir vif de faire passer les dires des patients. Il sait les relater avec l’art du conteur. La rencontre avec Lacan, dont il fit son maître, était inéluctable : ils avaient une définition homologue de la clinique, celle d’être au plus près de ce qu’énonce celui qui vous parle. À distance de l’application d’un modèle théorique, extraire le savoir inédit dont la logique singulière se déroule dans la parole du patient.

Le livre Le Symptôme. Entre Amour et Invention¹Ménard A., Le Symptôme. Entre Amour et Invention, Champ Social Éditions, Nîmes, 2016. articule le symptôme entre amour et invention à partir d’une triple logique : celle des antécédents, celle de l’anticipation et celle de la rétroaction. Il s’appuie sur le dernier enseignement de Lacan éclairé par celui de Jacques-Alain Miller, tout en ouvrant une perspective inédite. Sa visée est : « pratique, mais aussi épistémologique, cette vue avec recul sur ce qui fait la spécificité d’une science²Ibid., p. 9. » qui, sans en être une, a la responsabilité d’inventer un savoir propre à l’enjeu de l’inconscient : « Il importe de repérer à travers les âges les intuitions anticipatrices et leur théorisation, en fonction des connaissances de leur temps.³Ibid., p. 8. »

La praxis analytique qui s’élabore dans le questionnement de ses antécédents et dans l’après-coup de ses effets signifiants, a à s’interroger aussi sur le type de parlêtre qu’elle produit. Lacan s’est aperçu qu’« Une pratique n’a pas besoin d’être éclairée pour opérer⁴Lacan J., « Télévision », in Autres Écrits, Paris, Seuil, p. 513. ». Si une praxis peut avoir une efficacité en acte, l’élucidation dans l’après-coup et l’extraction du savoir propre qui la porte à partir de l’amour et de son transfert, sont une nécessité pour que la psychanalyse demeure vivante et se renouvelle.

Précieux et éclairant, ce travail s’adresse au-delà des professionnels du soin, à tout parlêtre confronté au réel de l’énigme du sexe, de la vie, de la mort et de l’origine, à chaque Un que l’amour et la jouissance du symptôme font souffrir, dans leurs tentatives de vivre. Chacun a à chercher une solution singulière vivable, nous dit Augustin Ménard, pas sans jouer de la possibilité dans la langue de « l’invention avec son double versant de découverte et de création⁵Ménard A., Le Symptôme. Entre Amour et Invention, op.cit., p. 8. ».

Augustin Ménard reprend un texte inédit d’Hippocrate, celui de Perdiccas II, roi de Macédoine, dont Hippocrate décèle les symptômes dans un amour insu dont l’interprétation le guérira. Il se demande pourquoi Lacan fera le choix à partir de 1971-1972⁶Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un Discours qui ne serait pas du semblant, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, coll. Champ freudien, 2006, p. 24., sans citer Hippocrate, d’« attribuer l’origine de la notion de symptôme à Marx dont la discipline est l’économie politique⁷Ménard A., Le Symptôme. Entre Amour et Invention, op.cit., p. 53. ». Pour Lacan, Hippocrate isole le symptôme, en y étant docile sans en isoler les ressorts, et invente la médecine, alors que Marx est inventeur du symptôme : c’est lui qui en dévoile la vérité, en fait une trouvaille, en conçoit la structure comme produite par les rapports entre les hommes. Freud, avec la découverte de l’inconscient, met au jour l’économie de la libido, ce que Lacan reprendra avec le concept de jouissance. L’économie appréhendée par Marx qui s’attache à la production, à la circulation des produits sociaux et à leur valeur, va servir d’appui à la création par Lacan de l’objet a comme plus de jouir par homologie avec la plus-value marxienne. Cet objet a fera le pont entre Freud et Marx⁸Ibid., p. 78 : Lacan souligne qu’il a inventé l’objet a comme plus-de-jouir, par homologie avec la plus-value marxienne. en mettant en acte le nœud libidinal de l’intime et du collectif par la consistance des corps parlants.

Augustin Ménard éclaire tout au long de son livre les différences entre trouver, inventer et créer. Trouver, c’est dévoiler du déjà là, créer relève de l’ex-nihilo, et inventer fait le pont entre les deux : « Inventer comporte le temps du repérage des faits, des symptômes, celui de leur mise en ordre à partir d’hypothèses, et enfin le retour sur l’expérience pour en apprécier la validité⁹Ibid., pp. 54-58. ».