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Une nouvelle lecture du livre1Cottet S., Freud et le désir du psychanalyste, Navarin éditeur, coll. Bibliothèque des Analytica, Paris, 1982 ; rééditions Le Seuil, Champ Freudien, Paris, 1996 (les notes indiquant des pages en chiffres romains renvoient à l’avant-propos de cette réédition). de Serge Cottet, quarante ans après sa parution, percute par la puissance intacte de son approche si aigue et novatrice de l’œuvre freudienne. Occasion aussi de constater la lumière qu’il jette toujours sur les problèmes cruciaux de la psychanalyse. Parmi ceux-ci, il s’attèle à répondre à la question, « Quel est le désir de l’analyste ? » en suivant un fil des plus singuliers : en la posant à Freud lui-même ! S. Cottet décèle, dans les textes de Freud, l’implication de son désir dans l’invention-même de la psychanalyse afin d’en faire saillir l’inouï, mais aussi ce qui a pu, à un moment donné, se présenter comme une limite, un obstacle, pour mener l’expérience au-delà d’un certain point. Désir inédit et points de butée dont Lacan s’est saisi pour bâtir les fondements de l’acte psychanalytique, en inventant cet opérateur majeur qu’est le désir de l’analyste. L’incidence de ce désir, qui surgit au terme d’une expérience psychanalytique, se situe à l’opposé d’une implication subjective de l’analyste dans la direction de la cure. S’inspirant de Lacan, S. Cottet parle d’une « hypnose inversée que réalise le dispositif analytique »2Ibid., p. 147. : le désir de l’analyste garantit le maintien de la distance nécessaire entre identifications idéales et objet cause du désir afin que l’analysant puisse s’avancer vers le serrage des marques et circuits de jouissance qui dessinent son tournage en rond dans l’existence. L’ « injection » dans le corpus des textes freudiens de la « catégorie lacanienne essentielle »3Ibid., p. 13. du désir de l’analyste, dit au plus près ce qui constitue le cœur de la démarche de S. Cottet.
Quatre postulats orientent sa démarche. Il ne s’agit pas ici d’une déduction de l’inconscient de Freud. La « psychanalyse se confond avec le désir de son inventeur » autrement dit « son désir c’est la psychanalyse elle-même4Ibid., p. II. ». « Le désir du psychanalyste est moins lisible dans ses rêves que dans ses écrits techniques.5Ibid., p. 14. » Enfin, le désir de Freud se lit dans son énonciation « et se déchiffre comme désir de savoir dans sa particularité […] mais aussi comme position subjective par rapport à sa passion de la vérité.6Ibid., p. IV. » Tout au long de l’ouvrage, S. Cottet dégage ce que le désir de Freud a d’unique, « à ce point le modèle d’un savoir nouveau et d’un “ désir inédit ” à l’horizon du malaise de la civilisation qu’une nouvelle éthique en procède.7Ibid., p. IV. »
Les premiers chapitres suivent le fil rouge de la passion de la vérité chez Freud. Son obstination à vouloir lever le refoulement originaire et mettre la main sur le réel. Puis l’assouplissement, qui verra le jour plus tard, de son rapport absolu au vrai dont témoigne la place que prendront dans son œuvre le mythe et les constructions en analyse. Un mouvement que S. Cottet épingle avec deux formules marquantes : « On ne touche au réel que par le signifiant8Ibid., p. VIII. », « le savoir se construit dans le cadre de l’ignorance et non dans la lumière de la vérité.9Ibid., p. IX. »Mais c’est justement à propos du mythe œdipien et des constructions de Totem et Tabou, que Lacan débusque le désir freudien de sauver le père en le mettant à l’abri de la castration, ainsi que dans l’amour, voire le culte, que les fils lui vouent. Lacan démasque ici les fondements religieux légués par Freud à son insu et dont la psychanalyse aura à se séparer au profit du mathème.
Connaisseur en profondeur de l’œuvre de Freud, il arrive que S. Cottet qualifie certaines critiques de Lacan des années soixante-dix, de très sévères, notamment pour ne pas tenir « compte des rectifications auxquelles Freud a procédé, notamment sur les limites de l’interprétation, sur le caractère résiduel de la fin d’analyse, sur l’importance des nœuds psychiques inaccessibles à l’interprétation symbolique. Il en résulte que le désir de Freud ne s’épuise pas dans une passion du déchiffrage, de l’enquête archéologique, de l’obsession de la scène primitive.10Ibid. » Autant d’étapes dans l’ouvrage où S. Cottet avance dans sa lecture serrée des textes, en ouvrant à une dialectique rigoureuse riche en nuances et interrogations de fond.L’étude de l’intrication du désir de Freud dans la découverte de la psychanalyse, telle qu’elle se lit dans les variations de sa position auprès des hystériques, illustre finement les effets de fermeture induits par son empressement. Ladite résistance de l’hystérique se mesure à l’aune de la déception de Freud. La passion de la vérité qui trahit son insistance, est « ce devant quoi l’hystérique recule11Ibid., p. 27. ». Son « avidité, son insatiable demande12Ibid., p. 32. » de percer les secrets et faire produire aux patientes ce savoir qui ne se sait pas, auquel il donnera le nom d’’inconscient, sera freiné et reconduit à sa juste place par l’hystérique elle-même, telle Emmy Von N. exigeant de lui qu’il la laisse dire.
Même interrogation sur son obstination à rendre la masturbation responsable de la plupart des symptômes, laquelle n’est non seulement « pas tout à fait conforme à l’observation13Ibid., p. 37. » mais l’aveugle, pendant un certain temps, quant au rôle joué dans la formation du symptôme par divers types d’identification14Ibid., p. 38..
L’étude des impasses dans la direction du traitement de Dora illustre précisément ce dernier point. S. Cottet s’attarde ici sur la thèse de Lacan qui fait « du transfert négatif de Dora une réplique du contretransfert de Freud15Ibid., p. 45. », tout comme les conséquences de la non-distinction entre l’objet d’amour et l’objet d’identification. Occasion de marquer la différence entre erreur et préjugé, la première résidant dans cette non-distinction, le deuxième désignant la version à laquelle Freud tient à ce moment du rapport entre les sexes : « Comme le fil est pour l’aiguille, la fille est pour le garçon16Ibid., p. 47. ». Mais au-delà, S. Cottet souligne notamment la position de Freud comme maître de la vérité17Ibid., p. 50.. Les ponctuations sur le transfert négatif comme résistance à la suggestion, puis celles sur la confusion entre sa personne et le signifiant de l’analyste, à propos de la jeune homosexuelle, éclairent la position de Freud dans ces temps inauguraux de la psychanalyse, comme maître du désir, « en concurrence avec un savoir sur le sexe18Ibid., p. 54-55. » que l’hystérique détient.
Nombreuses sont les raisons de relire la deuxième édition de cet ouvrage qui frappe par le courage avec lequel S. Cottet approche le noyau le plus réel du désir de Freud – sa passion de l’origine, son désir du vrai, la tension entre vérité et certitude – tout comme la refondation de l’éthique freudienne à partir de sa découverte de la pulsion de mort et de la férocité du surmoi.
Enfin, relevons un avertissement dont la résonnance actuelle est saisissante : « S’il est vrai qu’à la troisième génération après Freud l’inconscient était déjà en voie de se refermer, c’est qu’il n’est pas éternel. Lacan en a donné l’avertissement. Les analystes ont une responsabilité dans l’existence et dans l’avenir même de l’inconscient.19Ibid., p. XII. »
- 1Cottet S., Freud et le désir du psychanalyste, Navarin éditeur, coll. Bibliothèque des Analytica, Paris, 1982 ; rééditions Le Seuil, Champ Freudien, Paris, 1996 (les notes indiquant des pages en chiffres romains renvoient à l’avant-propos de cette réédition).
- 2Ibid., p. 147.
- 3Ibid., p. 13.
- 4Ibid., p. II.
- 5Ibid., p. 14.
- 6Ibid., p. IV.
- 7Ibid., p. IV.
- 8Ibid., p. VIII.
- 9Ibid., p. IX.
- 10Ibid.
- 11Ibid., p. 27.
- 12Ibid., p. 32.
- 13Ibid., p. 37.
- 14Ibid., p. 38.
- 15Ibid., p. 45.
- 16Ibid., p. 47.
- 17Ibid., p. 50.
- 18Ibid., p. 54-55.
- 19Ibid., p. XII.