Pousse-à-l’homme et mascarade virile
Avec le western, dès 1903, la lumière est braquée sur le cow-boy, simple vacher devenu figure mythique du héros, un homme un vrai, un cavalier hors pair aux qualités irréprochables, en somme un « pousse-à-l’homme » qui « se manifeste dans l’exigence d’être un homme, comme s’il était menacé de ne jamais l’être assez et qu’il fallait alors le prouver. C’est ainsi que l’homme s’épuise dans la démonstration de sa virilité où Freud relève la présence de surcompensations excessives qui témoignent d’une mascarade virile1Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Donc. La logique de la cure », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, leçon du 29 juin 1994, inédit.».
« Mascarade virile » ? Ce terme de mascarade est plutôt associé à la féminité. Lacan indique que, pour être le phallus, la femme use de ses attributs et fait « de sa féminité un masque2Lacan J., Le Séminaire, livre v, Les formations de l’inconscient, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1998, p. 454. ». Ce qui est masqué c’est l’identification masculine3Fouzia L., « La comédie des sexes : sexualité féminine et sexualité masculine », La Cause du désir, no 81, juin 2012, p. 37.. Si la mascarade virile avec ses attributs masculins épingle l’avoir phallique alors l’homme inversement cherche-t-il à masquer des traits de féminité ?
Protestation virile ou aspiration à la virilité ?
La mascarade virile se porte pâle. Après le temps des westerns des chevauchées, le cow-boy viril décline. La protestation virile s’essouffle. Freud explique que l’homme entre en rébellion (Sträuben), quand il craint d’être féminisé par un autre homme. La formule « protestation virile » (männlicher Protest) d’Adler est reprise par Freud, qui indique que « refus de la féminité » (Ablehung der Weiblichkeit) aurait été plus exact4Freud S., « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », Résultats, idées, problèmes, t. ii, Paris, PUF, 1985, p. 266., il emploiera par la suite l’expression « aspiration à la virilité5Ibid.» (Streben nach Männlichkeit).
Alors, « protestation virile » ou « aspiration à la virilité » ? La première, Freud la précise en note : « elle n’est en fait rien d’autre qu’angoisse de castration6Ibid., p. 268.». C’est sur la scène du fantasme que cette protestation trouve son issue, explique Lacan. Si « protestation » signifie s’élever contre quelque chose qu’on refuse d’accepter, « l’aspiration », au-delà de son sens physiologique d’attirer de l’air dans les poumons, définit une force intérieure qui pousse quelqu’un vers un idéal. Cette aspiration virile, « c’est une aspiration, un effort : on s’efforce vers la virilité comme valeur. Il s’agit – Freud dit que l’on n’y arrive pas, que c’est très difficile – de faire en sorte que le fait de suivre un autre homme n’ait pas la signification de la castration7Miller J.-A., « Progrès en psychanalyse assez lents », La Cause freudienne, no 78, décembre 2011, p. 195.». Faudrait-il lire dans ce choix des terme de « protestation » puis d’ « aspiration » les différents temps logiques tels que Lacan les déplie8Lacan J., « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée. Un nouveau sophisme », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 213. ?
Le dernier héros de l’âge d’or des westerns, Clint Eastwood, dans son prochain film Cry Macho, dialogue avec un jeune qui lui reproche de ne plus être un macho. À la suite de l’image d’un cow-boy chutant de cheval, il énonce : « vouloir être un macho, un gros dur, c’est ridicule9Sortie prévue en France le 10 novembre 2021, bande annonce en ligne.». Mais ce déclin du viril peut-il être éclairé par Dead Man, le western de Jim Jarmusch, empreint de la poésie de William Blake ? Serait-ce alors la lettre qui opère la bascule du viril ?
Du viril à la féminisation
En se questionnant sur la traduction française de la formule « Streben nach Männlichkeit », J.-A. Miller évoque la littérature : « il faudrait que je trouve une autre façon de traduire, l’aspiration ça fait un peu Madame Bovary10Miller J.-A., « Progrès en psychanalyse assez lents », op. cit., p. 195.». Fait-il référence au texte de Baudelaire critiquant Flaubert qui « n’a pas pu ne pas infuser un sang viril dans les veines de sa créature » et qui conclue « Madame Bovary est restée un homme11Baudelaire C., « Madame Bovary par Gustave Flaubert », à lire ici. ?
De la littérature inspirée par la ferveur à la lettre aspirée telle le « h », y-a-t-il un risque pour l’homme que la lettre le féminise ? Lacan transmet dès son séminaire sur La lettre volée, d’Edgar Alan Poe, que « tout semble concerté pour que le personnage que tous ses propos ont cerné des traits de la vérité, dégage quand il apparaît l’odor di femina la plus singulière12Lacan J., « Le séminaire sur “La lettre volée“ », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 35.». Ainsi, « la soudaine féminisation de la lettre13Lacan J., Le Séminaire, livre ii, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1978, p. 271.» serait-elle le « mâle-lettre » des hommes d’aujourd’hui ?