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J45 - Faire couple, Une lecture du discours courant

Une génération de l’expérience

Entretien avec C. Oger, D. Olive et M. Le Masson Maulavé

© J. Fournier. Photo P. Metz.
18/10/2015
Audrey Cavernes

Claude Oger, Danièle Olive et Michelle Le Masson Maulavé sont intervenants Bureau d’Aide Psychologique Universitaire (BAPU) de Rennes.

J45 : Que propose le BAPU aux étudiants qui s’y adressent ?

Danièle Olive : Les étudiants qui ont affaire à des angoisses parfois majeures, qui sont dépassés par leurs inhibitions ou leurs excès, ou qui, plus simplement, se trouvent face à une décision impossible à prendre, peuvent s’adresser au BAPU pour rencontrer un praticien orienté par la psychanalyse. Ces rendez-vous sont pris en charge par la sécurité sociale étudiante. Dans les années 1950, les premiers syndicats étudiants ont fondé les BAPU de façon à avoir accès à des psy sans en passer par un financement personnel ou par celui de leurs parents. Au BAPU, la durée n’est pas limitée en soi, mais elle l’est souvent du fait de la mobilité étudiante. Il y a donc à effectuer un recentrement autour d’une question plus précise qu’il s’agit de traiter. Quelques séances suffisent parfois pour que s’accomplisse la séparation d’avec les idéaux parentaux qui freinaient une orientation. Pour d’autres, il faudra le temps nécessaire à la relance du désir ou à la restauration d’un lien social sur le point de se déliter. Nous sommes parfois, pendant un temps, les seuls partenaires d’étudiants très isolés.

J45 : Quelles sont les particularités des étudiants en couple au xixe siècle ? 

Michelle Le Masson Maulavé : Les étudiants que nous recevons au BAPU sont souvent en couple, et pourtant ils n’en parlent pas forcément. Ce n’est pas leur question. C’est plutôt au détour d’une question qu’ils peuvent en parler tout à coup. Ce que j’entends cependant assez régulièrement, c’est ce qu’ils nomment un « plan cul » qui viendrait contrer l’idée de « faire couple ». Côté homme, il s’agit plutôt d’un procédé pour mettre à distance ce qui pourrait venir les ravager, alors que côté femme, ça les amène à se poser la question de la manière dont elles se font objet. C’est une bipartition entre désir et jouissance qui renvoie, il me semble, à la manière dont Freud parlait de la sexualité du côté homme.

D. O. : Aussi, les étudiants viennent parler de la question de l’orientation sexuelle, qui n’est pas toujours décidée pour eux. C’est la rencontre qui fait l’orientation. En effet, ils témoignent d’une variété dans les modes de relation : avec le même sexe, avec l’autre sexe, sans que ça se décide complètement et sans provoquer de conflits intérieurs. C’est plutôt la question du Qui suis-je ? Non pas sous la forme de la faute, de la culpabilité, ni même de la norme, mais plutôt une recherche autour de Comment s’y retrouver avec sa jouissance.

Claude Oger : Il me semble que les jeunes d’aujourd’hui représentent une « génération de l’expérience ». On essaie tout sans honte, sans division. C’est cela qui est très nouveau ! C’est un peu le « monde des possibles », à partir notamment de ce que proposent les écrans (internet, pornographie). On le retrouve dans leur sexualité autour de la contingence de la rencontre, on essaie avec l’un ou l’autre sexe.

D. O. : Oui, il y a un usage particulier de l’écran par les jeunes, du côté d’une certaine exposition de leur sexualité, sur internet notamment. Une certaine banalisation de l’acte sexuel… Des sujets en couple peuvent finir une soirée de fête avec un inconnu. Certains sujets se retrouvent dans des situations où ils se mettent eux-mêmes en danger, mais ils n’en font pas symptôme immédiatement, ça demande un travail pour le clinicien du BAPU d’en faire quelque chose qui puisse se problématiser.

C. O. : Quelquefois, on est amenés à sur-jouer la surprise pour que ça fasse un peu effet !

D. O. : En même temps, l’espoir de l’amour est toujours présent. Ils recherchent la parole d’amour, le signe d’amour, le contact permanent avec l’autreou encore sont en quête de l’âme sœur, du partenaire idéal, sur internet. Il y a donc à la fois la présence de la figure idéalisée et puis le côté consommable, le partenaire jetable.

C. O. : De l’agalma au déchet très rapidement… pour le sujet lui-même.

M. L M. M. : Oui, beaucoup de jeunes filles notamment se font l’objet sexuel de l’autre alors que c’est l’amour qu’elles espèrent, elles ne mesurent pas d’emblée la dimension de ravage pour elles.

D. O. : On trouve aussi un couple qui peut en cacher un autre, avec le frère, le père, avec un objet, la nourriture.

J45 : Avec le clinicien ?

C. O. : Oui, il y a aussi le couple avec le clinicien du BAPU. Dans certains cas, c’est même le seul partenaire de lien social. Je rencontre un homme au BAPU qui ne rencontre personne d’autre. Au moment de la fermeture estivale, cet étudiant s’arrange pour que ça ne compte pas vraiment alors que cela l’angoisse. Il a mon numéro de téléphone dans la poche.

J45 : Quelle influence du couple parental pour les étudiants ?

D. O. : C’est très fort, mais pas forcément en tant que modèle. Ce qui compte c’est la façon dont ils ont été marqués par les conditions de rencontre des parents, les coordonnées de leur propre existence, et aussi la place qui leur a été faite dans les moments de séparation du couple, mais ils ne s’y résument pas. Le travail au BAPU leur permet d’entrevoir comment ils y ont répondu et que dans cette modalité de réponse, leur jouissance est engagée.

J45 : Auriez-vous un exemple clinique ?

C. O. : Par exemple, un jeune homme est venu parler de sa relation ravageante à sa mère depuis sa toute petite enfance. Au détour de ce qu’il pouvait dire de sa mère, surgit la figure de la compagne qui est exactement choisie sur les mêmes traits. C’était tout à fait étonnant.

J45 : Quels ont été les effets du traitement ?

C. O. : Finalement, il est parti assez rapidement, suite à une petite résolution de l’angoisse. C’est une particularité de la clinique du BAPU, qui m’a déroutée au début : elle est scandée par des départs suite à un petit gain thérapeutique.

D. O. : Pour conclure, les étudiants viennent souvent pour prendre des décisions. Ces décisions impliquent des séparations. Le parcours effectué au BAPU, vise à leur permettre un premier accès à l’inconscient dont ils sont les sujets.

C. O. : Mais il faut que ça aille vite : « Je m’en vais dans cinq semaines, il faut que mon problème soit résolu ! » C’est une clinique moderne.

Propos recueillis par Audrey Cavernes.