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J50 - Attentat sexuel, Orientation

Une attaque sexuelle : le cas Katharina

© AKOM
25/08/2020
Marga Auré

Alors que Freud se reposait, à peine parvenu au sommet des montagnes, encore émerveillé par le paysage qu’il contemplait, il entendit la voix de Katharina demandant à parler au professeur. Désireuse de savoir, elle capta rapidement son intérêt, le replongeant dans les névroses, à plus de deux mille mètres d’altitude.

Freud raconte à Fliess dans sa lettre du 20 août 1893 sa rencontre avec la jeune Katharina, dix-huit ans, dans les Alpes autrichiennes. Un « beau cas1Freud S., Études sur l’hystérie, Œuvres complètes, vol. II, Paris, PUF, 2015, p. 13.» d’hystérie typique avec des accès d’angoisse causés par des traumas sexuels. Freud soutenait à l’époque que la cause des névroses était la séduction sexuelle précoce de l’enfant par un adulte et plus particulièrement par le père incestueux. Plus tard, il abandonna cette théorie de la séduction par le père, appelée « neurotica2Freud S., « Lettre à Fliess n°69, 21 septembre 1897 », Naissance de la psychanalyse, Paris, PUF, 1979, p. 190.», introduisant l’usage du fantasme lié aux désirs inconscients et comme défense du réel traumatique de la sexualité.

Katharina expliqua ses crises pendant lesquelles elle étouffait, avait des vertiges et mal à la tête. Elle voyait durant ses accès un visage effrayant. Ces symptômes étaient apparus deux ans auparavant. Freud poursuivit son enquête et Katharina raconta alors la scène traumatique survenue lors de ses seize ans où, par pur hasard, elle trouva dans le lit son oncle couché sur Franziska sa cousine. Elle avait eu du mal à respirer lorsqu’elle les avait découvert. Il faisait trop noir dans la chambre et elle n’avait pu qu’entrevoir leurs silhouettes. Elle avait été « dégoûtée » sans savoir pourquoi et avait passé ensuite trois jours à « vomir ». Cette pénible découverte avait provoqué le divorce entre sa tante et son oncle qui depuis portait sur elle un regard haineux avec une « rage insensée». Franziska sa cousine était quand même tombée enceinte. Freud enfreindra en 1924 la confidentialité du cas par une note de bas de page annonçant que Katharina serait tombée malade, victime des tentatives incestueuses venant non pas de son oncle, mais de son propre père3Ibid., p. 154.. L’annotation avait pour but d’éviter toute déformation pour tenir compte des événements et détails qui structurent un sujet et donnent la particularité du cas.

elle n’avait pas clairement reconnu que l’attaque était une attaque sexuelle

S. Freud

Katharina associa dans la conversation des souvenirs d’autres scènes qui eurent lieu « deux ou trois ans avant le moment traumatique4Ibid., p. 148.» lorsque son oncle, c’est-à-dire son père, l’aurait harcelée sexuellement à plusieurs reprises alors qu’elle était à peine âgée de quatorze ans. Freud utilise ici le terme d’ »attaque sexuelle ». À chaque fois que son oncle l’avait « attaquée » elle avait ressenti une forte pression sur la poitrine et sur les yeux. Une nuit, elle se réveilla tout d’un coup sentant le corps de son oncle contre elle et elle sauta de son lit, mais elle ne savait pas à l’époque ce qu’il lui voulait. Comme chez Œdipe, dont la relation au savoir et au non-savoir détermine l’acte, Freud souligne que, pour Katharina, son rapport au non-savoir détermine son mode de défense. La jeune fille se souvenait des scènes passées « mais sans les comprendre, ni en tirer une conclusion5Ibid., p. 150.» car, à cette période, dit Freud, « elle n’avait pas clairement reconnu que l’attaque était une attaque sexuelle6Ibid., p. 149.».

Le fait de ne pas comprendre et ne pas savoir, pour Freud, empêchent la capacité à se défendre, mettant de pair compréhension et capacité de défense. La nuit où elle surprit son oncle avec Franciska dans la pénombre, même si elle n’avait pas pu voir clairement, elle comprit et put commencer en « même temps à se défendre7Ibid., p. 150.». Les premières expériences érotiques vécues comme traumatiques étaient conservées mais exclues du moi, faute de savoir interpréter ce qui se passait à ce moment par « l’ignorance du moi8Ibid., p. 153.». Freud considérait que ce non-savoir initial sur ce qui était en train de se passer de sexuel dans ce moment traumatique initial gardait le même statut que le refoulement. C’était l’une des caractéristiques du cas associée aussi à la particularité de sa période « d’incubation», puisque les symptômes de conversion, le dégoût et les vomissements se sont mis en place quelque temps après. Si elle avait été si dégoûtée lorsqu’elle avait surpris son oncle sur Franciska, c’était parce qu’elle l’avait associé directement au souvenir oublié et ignoré par le moi de « l’agression nocturne» de son oncle sur elle – a interprété Freud.

« Dites-moi exactement : qu’avez-vous au juste senti de son corps cette nuit-là ?9Ibid., p. 151.», lui demande Freud sans équivoque. La structure de cette question vise non seulement l’éprouvé de son corps propre et sa propre jouissance mais aussi la jouissance de l’Autre. Question sans fond car la jouissance éprouvée laissera sa marque traumatique voilée par le fantasme.

Avec la jeune Katharina, Freud définit deux temps de formation de la névrose. Un premier temps où les impressions sexuelles sont restées sans effet, puis un second temps, plus tardif, lorsque ces souvenirs prennent véritablement leur dimension traumatique une fois que la femme s’ouvre au savoir et à la compréhension de la sexualité. Les enseignements extraits de ce cas laissent interpréter comment certaines femmes prennent du temps à dénoncer certaines exactions subies.

La trace de la jouissance éprouvée lors de ce premier événement inaugural initiatique laissera sa marque traumatique dans l’après-coup par un « style de jouissance10Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Un-tout-seul », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 2 février 2011, inédit.» lié pour toujours à lui.

Après cette conversation en haut des montagnes avec Freud, la jeune fille était « comme transformée », soulagée et enjouée. Elle put clairement reconnaître la tête qui l’effrayait comme étant celle de son oncle, c’est-à-dire son propre père. Nous savons aujourd’hui que sous l’identité de Katharina se masquait Aurelia Kronich (1875-1929), la fille des aubergistes de deux refuges sur la Raxalpe. Aurelia épousa plus tard un garde forestier avec qui elle vécut en Hongrie.


  • 1
    Freud S., Études sur l’hystérie, Œuvres complètes, vol. II, Paris, PUF, 2015, p. 13.
  • 2
    Freud S., « Lettre à Fliess n°69, 21 septembre 1897 », Naissance de la psychanalyse, Paris, PUF, 1979, p. 190.
  • 3
    Ibid., p. 154.
  • 4
    Ibid., p. 148.
  • 5
    Ibid., p. 150.
  • 6
    Ibid., p. 149.
  • 7
    Ibid., p. 150.
  • 8
    Ibid., p. 153.
  • 9
    Ibid., p. 151.
  • 10
    Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Un-tout-seul », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 2 février 2011, inédit.