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J48 - Gai, gai, marions-nous !, Orientation

« Un mot étrangement absent »

Questions à Jean-Robert Rabanel

© J. Fournier.
05/06/2018
J48

Jean-Robert Rabanel est psychiatre et psychanalyste au Centre thérapeuthique et de recherche de Nonette.

J48 : Quels sont les effets du mariage sur les enfants que vous êtes amenés à rencontrer ? Que les parents soient mariés ou non, cela change-t-il quelque chose ?

Jean-Robert Rabanel : Il arrive parfois, en institution, que l’on soit confronté à l’absence des parents mariés ou non ou à leur éloignement géographique des établissements d’accueil et de soin, avec les conséquences que cela entraîne. C’est parfois le cas avec l’accueil de sujets psychotiques placés par les services sociaux pour des situations de graves carences parentales. C’est l’institution sociale qui devient alors comme une famille d’accueil.

Il faut bien prendre en compte la situation de ces sujets tout seuls, abandonnés, et miser sur les possibilités du sujet lui-même, sur ses propres inventions et moins sur la tradition familiale.

Dans les cas où est présente une structure du couple parental, un travail est possible, selon l’orientation imposée dans les institutions médicosociales, la référence de la structure familiale. Ceci, au-delà de l’Œdipe. Tel ce sujet qui avait eu à faire d’emblée à l’Autre de la science. Rejeté par le désir maternel, il n’occupe plus la place du manque, mais devient un déchet dans la réalité de ses troubles organiques. Considéré par son père comme un objet de la science, il n’est représenté par celui-ci que par les signifiants de ce discours. Ce sujet se trouve placé au point où s’articulent les positions subjectives du père et de la mère à la jonction de deux discours que Lacan dit être voisins : le discours de l’hystérique et le discours de la science. Cette conjoncture est des plus favorables à permettre la prise de l’enfant dans le fantasme maternel.

J48 : S’agit-il d’une question portant sur le désir de l’Autre ? D’un idéal projeté dans un avenir ? Les théories sexuelles infantiles sont-elles influencées par le mariage ou le célibat des parents ?

J.-R. R. : Si la psychose est hors discours, le psychotique n’en est pas moins dans le langage, c’est ce qui rend valide l’usage des catégories : ⒮, a, S1, S2, dans la clinique psychanalytique des psychoses, répondait Lacan à la question de Jacques-Alain Miller.

Le statut hors discours de la psychose ne dispense pas pour autant le psychotique d’avoir à faire avec les discours. Au discours du maître, il a à faire sous le chef de la loi et historiquement, Michel Foucault nous le rappelle, avec le grand enfermement. Au discours de l’Université, il a à faire sous les espèces du savoir que les aliénistes d’abord, les psychiatres ensuite, ont élaboré pour le traiter, c’est-à-dire pour le faire rentrer dans le rang.

À ce titre les théories sexuelles infantiles ne sont pas seulement influencées par le mariage ou le célibat des parents, mais aussi bien par les avancées de la science et des techniques. Elles soulignent la dimension de choix de l’enfant qui revient à l’enfant dans la distribution des fonctions dans une configuration plurielle de la parenté où il peut se trouver.

J48 : Le divorce est-il toujours un traumatisme ? Quelles sont les conséquences cliniques du ratage du mariage ?

J.-R. R. : Ainsi chez ce sujet, pour lequel on pouvait craindre, au début, une surdité, puis une arriération mentale profonde, et qui a pu faire un parcours scolaire, certes difficile, du fait de ses difficultés relationnelles avec les autres, mais qui a obtenu, à la fin de son apprentissage, un CAP et un emploi. Certes la présence du couple parental, durant tout ce trajet a été capitale, mais la rupture des parents, si elle a provoqué des chocs, n’a pas mis en péril les réalisations de ce sujet très critique sur les méthodes autoritaires TCC ou autres, qui pouvait dire avec force : « On dirait que plus on progresse dans le domaine technique plus on régresse sur le plan humain. » Ce sujet a réussi à se passer de ses appuis à condition de s’en servir. Il y a quelque chose à dire à ces sujets, qui les ouvre à la parole.

Encore fallait-il que des psychanalystes lacaniens travaillent dans des institutions pour enfants psychotiques, ou en créent de nouvelles, vers plus d’inventivité. Ces expériences, pour être novatrices, restaient isolées. Judith Miller a su instaurer entre elles un dialogue stimulant et toujours en mouvement.

Mariage est un mot étrangement absent dans la parole des enfants. Il en est de même du mot divorce. Ce qui prévaut pour désigner la situation des parents, du point de vue des enfants est le fait que les parents soient ensemble ou non et, plus encore, si les parents vivent au même endroit. Ce qui est une complication pour les sorties, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, pour les externes, devient un avantage pour les internes qui ont un lieu à eux, certes qu’ils partagent avec des semblables, mais quand même à eux. Ceci est net chez les patients en internat comme à Nonette ! Ils le disent : « À Nonette je suis chez moi. »

Par contre, il faut souligner l’insistance pressante à nommer les éléments nouveaux de l’extension familiale : les beaux et les demis. Car si le mariage et le divorce sont des actes pour les parents, ils sont des états de la parenté pour les enfants. Le mariage est une image ou un évènement chargé d’idéal pour les enfants qui ignorent cet état constitué des parents sauf quand ils ne portent pas le même nom.

Les enfants abandonnés ou démunis nous montrent le chemin au-delà de l’Œdipe et des significations familiales, vers le réel de l’enfant parlêtre.