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J52 , Une lecture du discours courant

Tu suis ce que je dis

30/06/2022
Laurent Dumoulin

Parce qu’elle procède par identifications et signifiants-maîtres, la politique convoque ceux qui s’y risquent à dire quelque chose de leur Je. Comment, dès lors, le « je suis ce que je dis » fait-il symptôme en politique ?

Le vacillement des semblants organisant le monde et l’anonymat produits par les avancées du discours de la science et de la mondialisation, provoquent pour de nombreux sujets un certain égarement, souvent teinté d’angoisse. En réponse à cela, depuis une quarantaine d’années, on assiste à un retour du populisme dans les démocraties occidentales. Cette idéologie trouve son succès dans la néo-dualisation qu’elle propose d’un monde toujours plus pluralisé. Il y aurait le peuple et les élites : au premier les vertus, aux secondes les vices.

Le peuple, l’article défini l’indique assez, n’est pas divisé. Comme Un, il parlerait d’une seule voix. Mieux, tel Yahvé déclarant « Moi, en tout cas, je vois clair1Bible de Jérusalem, Livre de Jérémie, 7.2», il connaîtrait son Bien. Par quel miracle s’obtiendrait ce peuple Un et lucide ?

L’Un du peuple est fondé sur une ségrégation. Pour que le peuple fasse Un, il est nécessaire de désigner le non-peuple, et de l’extraire. Le peuple parle d’une seule voix, parce que le non-peuple n’a pas droit à la parole.

La lucidité est celle de qui a vu que tout est semblant, fake, complot, deep-state. À ce titre il n’y aurait pas à se laisser duper : la démocratie dite représentative, très peu pour les Uns-tout-seuls ! Puisque la représentation ne vaut rien, alors le peuple réclame du direct. En la matière, direct du droit ou du gauche, peu importe.

Mais, à tant parler du peuple, est-on si sûr que le peuple parle ? Fait troublant : là où il y aurait le peuple, le leader n’est jamais loin. Sous les traits de l’homme providentiel, ou de la bonne-mère veillant sur ses enfants, pas de populisme sans chef. Et c’est lui qui, derrière le micro, dit … ce que voudrait le peuple.

Symptôme de la chute du Père, le retour du populisme rend spécialement saillant comment la politique est affaire de mots qui font mouche, capturant le sujet là où l’inconscient ne lui délivre aucun être. Au peuple de souche, le leader parle d’immigration massive et de grand-remplacement. Au peuple woke, le patriarcat colonial est désigné comme cause de tous ses maux, et donc à canceller.

Que demande le peuple ? Impossible à dire, car ce que l’on entend n’est pas son énoncé, mais bel et bien la grosse voix du chef. Le populisme est une des guises contemporaines du déni de l’inconscient. Cette idéologie prête au peuple un je suis ce que je dis. Cette glorification du peuple n’a d’autre fonction que de voiler le tu suis ce que je dis qu’ordonne le chef.