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J50 - Attentat sexuel, Orientation

Troumatisme

© AKOM
05/11/2020
Victoria Paz

« Quand je parle d’un trou dans la vérité, ce n’est pas, naturellement, une métaphore grossière, ce n’est pas un trou au veston, c’est l’aspect négatif qui apparaît dans ce qui est du sexuel, justement de son inaptitude à s’avérer. C’est de ça qu’il s’agit dans une psychanalyse.1Lacan J., Mon enseignement, Paris, Seuil, 2005, p. 34.»

Lacan prononce cette phrase dans sa conférence « Place, origine et fin de mon enseignement ». Comme le remarque Jacques-Alain Miller, Lacan aborde dans Mon enseignement des choses complexes, « mais toujours introduites avec la plus grande simplicité2Miller J.-A., « Préface », Mon enseignementop. cit., p. 8.». Avec cette citation, il soutient un des piliers de son dernier enseignement : la généralisation du traumatisme à tous les êtres vivants habités par le langage. La sexualité fait trou dans le réel, ça fait troumatisme. Il s’agit effectivement d’une « expérience à portée de tous3Lacan J., « Préface à L’Éveil du printemps« , Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 562.» dit Lacan, puisqu’en ce qui concerne la sexualité « personne ne s’en tire bien4Ibid.». Le verbe « s’avérer », n’est pas ici choisi par hasard, il vient du latin verus (véritable) et Lacan s’en sert pour mettre en exergue cette inaptitude, cette impossibilité structurelle du sexuel à se révéler, à s’avouer, à se dire.

Dans une psychanalyse, dit Lacan, il s’agit de ça. Et si elle accueille « la parole des victimes qui se libère5Cf. Springora V., Le consentement, Paris, Grasset, 2020.» dans notre société, c’est en sachant que, par structure, elle a du mal à se dire. Comme dans tout traumatisme, l’abus laisse le sujet soumis à l’effraction du réel. La réitération incessante de l’expérience traumatique, les crises d’angoisse, les cauchemars qui envahissent le sujet rendent compte du caractère réel et impossible à symboliser du trauma. Le travail de déchiffrement, de symbolisation que l’analyse introduit, traite l’angoisse et le réintroduit comme sujet de son histoire. Et dans ce sens la cure analytique permet au sujet soumis à l’effraction du réel de produire une élaboration sur ce qui a fait trouma pour lui.

Néanmoins, le travail de remémoration, supposé mettre fin au trauma, est impossible ; il y a une butée qui rend compte de l’impossibilité logique de tout dire. Les dits de l’analysant, dans son effort de dire l’indicible, tissent, brodent des fictions qui donnent vie à ce réel impossible à supporter, à ce bout de réel ininterprétable. Comme l’indique Jacques-Alain Miller, « On peut saisir les dits de l’analysant comme aveux, en tant que c’est l’aveu qui fait accéder la jouissance à l’Autre, et qu’il y a là pour nous, non pas un vide, mais un vidage6Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Cause et consentement », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 2 mars 1988, inédit.».

Or, le plus intime qui possède un sujet, et le moins avouable, c’est son assujettissement à sa propre satisfaction. Déjà en 1907, Freud notait la solidarité existante entre le trauma et « l’expérience d’une obscure jouissance ». Pour nommer cette intimité inconnue du sujet lui-même, « cette extériorité intime7Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’éthique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 167.», point de honte et d’horreur quand elle se dévoile, Lacan forge le terme d’extimité8Ibid.. Cette jouissance étrange, étrangère et intime est inassimilable au signifiant. Elle relève d’une vérité qui ne peut que se mi-dire, le signifiant enserre la jouissance qui ne peut se lire qu’entre les lignes. C’est ainsi que Jacques-Alain Miller signale l’orientation éthique de la psychanalyse qui, elle, « peut conduire à cet apaisement du point d’horreur que constitue l’extimité9Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Du symptôme au fantasme et retour », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 12 janvier 1983, inédit.».

Pour conclure, citons encore Lacan et sa précieuse indication : « Là où il n’y a pas de rapport sexuel, […] on invente ! On invente ce qu’on peut, bien sûr.10Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 19 février 1974, inédit.» Avec les ressources dont dispose chaque sujet, la position de l’analyste consiste à faciliter les solutions que chacun, un par un, invente pour traiter le troumatisme.


  • 1
    Lacan J., Mon enseignement, Paris, Seuil, 2005, p. 34.
  • 2
    Miller J.-A., « Préface », Mon enseignementop. cit., p. 8.
  • 3
    Lacan J., « Préface à L’Éveil du printemps« , Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 562.
  • 4
    Ibid.
  • 5
    Cf. Springora V., Le consentement, Paris, Grasset, 2020.
  • 6
    Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Cause et consentement », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 2 mars 1988, inédit.
  • 7
    Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’éthique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 167.
  • 8
    Ibid.
  • 9
    Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Du symptôme au fantasme et retour », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 12 janvier 1983, inédit.
  • 10
    Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 19 février 1974, inédit.