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J43 - Trauma, Une lecture du discours courant

Trauma

29/06/2013
Guy Briole

Le trauma est la marque de l’homme1Ce texte a été publié dans « L’ordre symbolique au xxie siècle », Scilicet, Collection rue Huysmans, AMP 2012, p. 390-393.. Celle qui à la fois, inscrit le sujet dans l’ordre du langage et laisse cette empreinte comme reste de ce qui ne peut se résorber dans le symbolique.

Le trauma fait mémoire de l’homme, comme sujet parlant.

Les légendes des peuples, tentent de l’encadrer, de le dire à l’infini, mais le trauma insiste par sa contingence. Alors, le trauma se fait – pour un ou pour un groupe – traumatisme.

Fascination

Le traumatisme fascine car il nous regarde tous, au hasard des rencontres avec le réel. Il exerce une irrésistible attraction par cette contingence qui fait que, dans l’effraction traumatique, c’est d’une rencontre avec la mort qu’il s’agit ; la sienne ou celle d’un autre.

La rencontre traumatique détermine un point de certitude : on a été si près de la mort, on l’a vue. C’est de l’ordre d’une fulgurance dont témoigne très précisément Maurice Blanchot2Blanchot M., L’instant de ma mort, Paris, Gallimard, 2002, p. 8. dans un livre de huit pages, où le regard croisé avec l’officier allemand marque cet instant qui le sauve de l’exécution. La fusillade éclate ; est-il mort ? La réponse qui s’impose à lui : « Je suis vivant. Non, tu es mort. » Là où, au moment de la fusillade, le sentiment de légèreté se trouvait lié à l’idée « d’être libéré de la vie », le voilà maintenant avec le poids de la mort, en tant que vivant. Comme si la mort hors de lui ne pouvait désormais que se heurter à la mort en lui. L’angoisse infiltre son vécu subjectif auquel il donne forme dans cette écriture qui signe l’implacable de la répétition : « l’instant de ma mort est désormais toujours en instance ».

Nous voilà, avec la singularité de cette mort entrevue, dans la spécificité du traumatisme. À la fois, la mort ne peut être vécue et elle est un phénomène inhérent à la vie. Prise ainsi, dans le sens universel de la vie, elle n’est pas scandaleuse. Néanmoins, elle est toujours violente, plus ou moins. L’inattendu de sa survenue frappe toujours celui qui y est confronté. La rencontre traumatique ne permet pas de l’anticiper et confronte à l’effet de surprise et à la brutalité du déchirement du voile qui recouvrait le réel.

Pour certains, ce fut une rencontre unique, brutale, par surprise et inoubliable. Pour d’autres, il s’agit d’une expérience collective marquée à tout jamais par l’avilissement, l’arbitraire, la volonté de destruction au nom d’une différence : de race, de religion, d’orientation politique. Pour quelques-uns, cette rencontre manquée avec la mort n’a tenu qu’à la décision in extremis d’un autre dont les raisons restent énigmatiques : c’est le cas de Blanchot comme de François Bizot, otage des Khmers rouges, et épargné au dernier moment par la décision arbitraire de son geôlier3Bizot F., Le portail, Paris, La table ronde, 2000, p. 204..

Au-delà de l’interprétation que chacun tente pour donner sens à l’impensable, il reste le regard. Le sujet ne peut se séparer de la fascination du regard qui l’a immobilisé. Le regard, c’est ce qui ne s’oublie pas. Le trauma ne s’efface pas, il n’est pas modifié par le refoulement, ni par la répression. « Je n’ai pas écrit ce livre avec de la mémoire4Ibid., p. 32.», dit Bizot. Tout était là vingt ans après, comme à l’instant du trauma.

Intimidation

Ce n’est donc pas le traumatisme mais l’événement qui est susceptible d’un effacement. On ferait bien de s’en souvenir à une époque où la puissance du rêve scientiste fascine et s’utilise massivement pour tenter d’écraser le rêve traumatique !

C’est dans cette perspective que les thérapies d’intimidation se développent tout en se renforçant de rationalisations gestionnaires.

C’est ainsi que se trouvent toujours plus justifiées les interventions directes sur le symptôme : « Dites-moi tout, et tout de suite, à moi qui n’ai aucun intérêt à ce qui vous arrive ! » Un pas de plus se franchit quand la manœuvre consiste à déplacer la croyance au symptôme sur une croyance au thérapeute et à sa méthode : « Ne croyez pas à vos symptômes, croyez en moi ! Les symptômes je peux vous les faire disparaître, sans même que vous ayez à vous y intéresser. » Il faut obtenir du sujet qu’il soit docile à la rectification comportementale ! Alors les symptômes sont ceux de l’impact balistique du traumatisme et les réparateurs des délabrements du moi font florès de faire croire aux responsables institutionnels qu’ils ont, à coup sûr et au moindre prix, les bons outils. À ceci près que le trauma ne vaut pas pour le traumatisme et que la parole fuit toujours malgré les renforcements d’intimidation. Le sujet ne peut être bâillonné et le réel mis à nu dans la rencontre traumatique, insistera toujours à se répéter, sauf à être repris dans un lien de parole. L’adresse à l’analyste suppose de renoncer à considérer l’événement comme cause. C’est la seule voie éthique possible.

Le traumatisme de l’effacement

Pour Blanchot, c’est moins la confrontation avec la mort que le sentiment d’une injustice insondable qui envahit ses pensées. L’horreur est, pour lui, d’avoir été nié comme personne, effacé comme homme, et sauvé par son appartenance à une « race » ; la race noble. Être sauvé au nom d’une race suppose que d’autres soient désignés comme déchets à éliminer.

Dans le milieu du xxe siècle, le camp de concentration a marqué le sommet de l’abjection humaine. On y a procédé à l’effacement systématique des noms, à la destruction de la langue même, ce que Rachel Ertel appelle la « langue arrachée5Ertel R., Dans la langue de personne, Paris, Seuil, coll. La librairie du xxe siècle, 1993, p. 32.».

C’est là que les hommes sont réduits à leur masse, avant qu’il n’en reste que les cendres : « L’extermination n’est pas la mort. C’est une déchirure du temps6Ibid., p. 75.». Pour ces hommes qui ont traversé ces épreuves, ce n’est pas tant la rencontre avec la mort qui les mine, c’est qu’ils ne croient plus à l’histoire. C’est leur historicité même qui est touchée.

En ce début de xxie siècle, l’année 2005 marquait le 60e anniversaire de la libération des camps. Face au plus grand crime de tous les temps qu’est la Shoah, le devoir de mémoire devient aujourd’hui un devoir de connaissance, de transmission, afin que le signifiant concentration ne recouvre jamais celui d’extermination.


  • 1
    Ce texte a été publié dans « L’ordre symbolique au xxie siècle », Scilicet, Collection rue Huysmans, AMP 2012, p. 390-393.
  • 2
    Blanchot M., L’instant de ma mort, Paris, Gallimard, 2002, p. 8.
  • 3
    Bizot F., Le portail, Paris, La table ronde, 2000, p. 204.
  • 4
    Ibid., p. 32.
  • 5
    Ertel R., Dans la langue de personne, Paris, Seuil, coll. La librairie du xxe siècle, 1993, p. 32.
  • 6
    Ibid., p. 75.