Que croient-ils qu’ils vont apprendre sur leurs enfants, ces parents qui installent Fireworld sur l’ordinateur familial ? Fireworld est un logiciel espion, qui permet de suivre en temps réel l’activité de l’ordinateur surveillé, récupérer les mots de passe, faire des captures d’écran, audio, ou même de la webcam pour surprendre la posture de l’internaute pendant qu’il effectue son forfait. On peut encore installer un keylogger, petit logiciel qui enregistre toutes les frappes effectuées sur le clavier, ou prendre le contrôle à distance de l’ordinateur choisi.
Les parents inquiets pour leurs ados sont une des cibles privilégiées du site promotionnel du logiciel : « Savez-vous vraiment ce qu’ils font [sur internet] ? Beaucoup d’entre eux se renseignent par ces moyens sur la drogue, l’alcool, parfois pire… Êtes-vous certain de ce que font vos adolescents tard le soir sans surveillance ? Sont-ils honnêtes avec vous sur les sites web qu’ils visitent lorsque vous n’êtes pas là ? » Le site multiplie les illustrations alarmantes afin d’emporter les doutes qui pourraient encombrer les parents : c’est l’occasion par exemple de vérifier si l’enfant n’est pas victime de harcèlement à l’école, ou ne fait pas de mauvaises rencontres sur les réseaux sociaux. Sur une page supprimée depuis pour le scandale qu’elle a produit, il s’agissait de vérifier si votre « fils est gay1Cf. un récent article de Rue89, disponible en ligne ici.». « Vos raisons peuvent être tout à fait légales », roucoule le site.
Certains parents ainsi succombent, sous prétexte de protection, et violent, à leurs risques et périls, l’intimité en ligne de leurs enfants. Le bien nommé logiciel Fireworld tient certainement ses promesses en produisant dans les familles un « monde en feu ». D’autres parents plus frileux se contentent de suivre les activités de leurs enfants sur les sites publics qu’ils fréquentent. Mais est-ce si différent ?
Internet incarne ici le lieu de tous les dangers, prédateur sexuel et recruteur de Daesh en tête par l’effet de loupe de la diffusion massive de faits divers. Cela touche en fait un point d’inconnaissable, celui de l’altérité de son propre enfant, où se précipite l’inquiétude parentale qui est l’envers d’une difficulté de séparation. Échapper au regard des adultes est une nécessité que l’hyperencadrement que nous faisons subir à nos enfants rend plus grande encore. Les lieux où peuvent se rassembler les jeunes se raréfient, les activités périscolaires se multiplient : où peuvent-ils traîner ensemble ailleurs que sur internet pour construire leurs propres espaces ? Ainsi, à mesure que leurs parents apprivoisent l’un ou l’autre réseau social, fuient-ils sur d’autres plateformes pour leur échapper.
Le dernier livre de danah boyd2L’auteur souhaite qu’on mette les minuscules à son prénom et à son nom et s’en explique ici., fruit de nombreux entretiens avec des adolescents sur leur vie numérique3boyd d., C’est compliqué. Les vies numériques des adolescents, Caen, C&F éditions, 2014., nous l’apprend : aujourd’hui, la plupart des jeunes se servent d’internet non pour se débrancher de l’Autre mais pour prolonger ou enrichir leur vie sociale4Voir aussi sur Rue89 la critique du livre de danah boyd par Xavier de La Porte, disponible en ligne ici.. Les parents d’aujourd’hui comme ceux d’hier ont à en tirer la leçon pour leur en laisser la place.