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J47 - Apprendre : désir ou dressage, Une lecture du discours courant

Supposer le désir d’apprendre

© J. Fournier.
28/09/2017
Alexandre Gouthière

S’il est des institutions dont l’image mobilise d’emblée une représentation de l’apprentissage par le dressage, ce sont particulièrement les armées et les forces de sécurité. Dans ces lieux, la perspective d’une ouverture possible à la psychanalyse ne va donc, à priori, pas de soi. Dans la gendarmerie, elle interpelle la figure populaire de l’homme viril qu’incarnent encore aujourd’hui les gendarmes, et va à priori à contre-sens de l’idée d’une institution dans laquelle il serait entendu que l’on ne parle pas.

En réalité, l’exercice des hommes et des femmes qui assument ces missions les confronte quotidiennement à des expériences hors-sens, qui les laissent parfois sans recours1Cf. Freud S., Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, PUF, 1993., et psychiquement en plan. Car il est des épreuves auxquelles on ne peut être aguerri, et la détresse qui en découle prend souvent sa source dans une captation qui s’est opérée pour eux, au cœur même de la scène dans laquelle ils ont été impliqués. Autrement dit, l’effraction traumatique a lieu lorsque, à leur insu, ils s’y sont vus et s’y sont éprouvés.

Dès lors, au-delà de devoir catégoriser les faits, de devoir les faire entrer dans le discours judiciaire, à partir duquel la société pourra après-coup statuer, s’impose à eux une nécessité : sortir de la sidération dans laquelle cette rencontre avec le réel sans loi les a plongés.

Mais, si aucun savoir, aucune formation ne pouvaient être des garants sûrs et sans failles pour les tenir à l’abri de cette saisie, la souffrance qui en résulte ne se résout pas non plus dans l’assurance d’avoir bien appliqué le protocole d’action ou les règles d’intervention, à chaque fois vérifiés. Ceci est notamment vrai lorsque ce qui s’est joué touche à l’impensable, à la mise en acte d’une jouissance monstrueuse, dont au final, comme disait Freud, tout un chacun peut se sentir étrangement familier 2Cf. Freud S., « L’inquiétante étrangeté », Éssais de psychanalyse appliquée, Paris, Gallimard, 1952, p. 163-210.– meurtres, incestes, violences, maltraitances…

Du point de vue de l’analyste, la confrontation à ces expériences ouvre alors la porte à une question : le sujet voudra-t-il après-coup en savoir quelque chose ? Lorsque cela est le cas, et comme Jacques-Alain Miller l’indique à propos de l’enfant, la tâche de l’analyste sera de redonner la place au savoir du sujet, à ce que le sujet sait : un savoir logé dans le texte de ses symptômes3Cf. Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 243-258.. « C’est [cela] que Lacan a appelé le sinthome, […] un circuit de répétitions, un cycle de savoir-jouissance qui se déclenche à partir d’un événement de corps, c’est à dire de la percussion d’un corps par un signifiant.4Miller J.-A., « L’enfant et le savoir », Peurs d’enfants, Navarin, coll. La petite Girafe, Paris, 2011, p. 18.»

En gendarmerie, il y a donc pour l’analyste un enjeu qui consiste à supposer que chaque demande comporte en elle le germe d’un désir d’apprendre. Ce désir procède d’une nécessité : celle dans laquelle se retrouve un sujet de s’enseigner pour lui-même d’une expérience qui est venue irrémédiablement trouer le discours de la norme, de sa norme, et qui l’a précipité à son corps défendant dans l’envers de la scène du monde humain.

 


  • 1
    Cf. Freud S., Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, PUF, 1993.
  • 2
    Cf. Freud S., « L’inquiétante étrangeté », Éssais de psychanalyse appliquée, Paris, Gallimard, 1952, p. 163-210.
  • 3
    Cf. Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 243-258.
  • 4
    Miller J.-A., « L’enfant et le savoir », Peurs d’enfants, Navarin, coll. La petite Girafe, Paris, 2011, p. 18.