Étudier Se former > Les blogs des Journées de l'ECF > J53
J53 , Orientation

Silence et métonymie

16/10/2023
Emmanuelle Chaminand Edelstein

Deux associations me sont venues à l’annonce du thème des 53e Journées de l’École de la Cause freudienne : le silence et la métonymie. Il y aura donc deux courts arrêts sur image : silence et interprétation / métonymie et interprétation.

Silence et interprétation

Une citation de Jacques-Alain Miller m’a particulièrement intéressée, on la trouve dans la leçon du 23 novembre 1994 de son cours d’orientation lacanienne, Silet : l’analyste « devrait parler à partir du silence, et même garder le silence tout en parlant. C’est peut-être le secret de l’interprétation : préserver ainsi la place de ce qui ne se dit pas ou de ce qui ne peut pas se dire, accorder sa parole, moins à la parole de l’Autre, à la parole de celui qui est là pour parler, qu’à ce qu’elle tait. Le sujet du verbe silet, ce pourrait être, en effet, aussi la parole. La parole garde le silence, et même, peut-on dire, elle défaille devant la jouissance1Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Silet », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris  8, cours du 23 novembre 1994, inédit.  ». On voit là comment le silence a à voir avec la question de l’interprétation.

Il y a l’interprétation comme acte analytique, mais qui ne se sait comme telle que dans l’après-coup. Tel énoncé ou acte de l’analyste fait-il associer ensuite l’analysant sur un point important, produit-il une rectification subjective ? L’interprétation peut être une parole, un signifiant, une interjection, un soupir, une pantomime, elle peut aussi être un silence. Ne pas dire, ne pas demander de précisions, faire silence, peut faire interprétation. Sans doute est-ce une façon de terminer une séance, par un silence, qui prend la forme de la coupure. Coupure dans la chaîne signifiante de l’analysant.

Françoise Fonteneau, dans son livre L’éthique du silence, écrit : « pour Lacan, c’est du postulat, sinon de l’obscurité, du moins du ‟mi-dire” de la vérité que découle le silence de l’analyste. Mais c’est aussi et surtout du postulat qu’à la place du ÇA (Es) peut advenir un JE (Ich), que le silence de l’analysant peut être une forme de dit qu’il faudra savoir entendre, interpréter, scander, souligner…2Fonteneau F., L’Éthique du silence. Wittgenstein et Lacan, Paris, Seuil, 1999, p. 59.  » Comment ne pas entendre la série énoncée dans le titre de nos J53 !

F. Fonteneau se réfère aussi à « L’étourdit » pour indiquer que « Lacan distinguait deux dires dans le discours analytique : celui de la demande, qui peut être silencieux et auquel on peut répondre par le silence, et celui de l’interprétation qui doit tenir la place du réel. L’interprétation peut être silencieuse, certes. Le silence est alors acte3Ibid., p. 198.  ». C’est un point très important, car si le silence a à voir avec la pulsion, il est aussi un acte et l’on voit ainsi en quoi il peut faire interprétation.

Ce qui lie mon premier point du silence et le second « métonymie et interprétation » est une phrase que l’on trouve au tout début du Séminaire, livre V, Les Formations de l’inconscient : « C’est bien parce que quelque chose a été noué à quelque chose de semblable à la parole, que le discours peut le dénouer.4Lacan J., Séminaire, livre V, Les Formations de l’inconscient, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1998, p. 10.  » Citation lumineuse. L’expérience fondamentale de l’expérience analytique, aussi évident que soit cet énoncé, est une expérience de langage. La parole n’en est pas seulement le moyen, mais le fondement, comme la formule « l’inconscient structuré comme un langage » l’indique. En 1972, dans son Séminaire, livre XX, Encore, Lacan indique : « Un jour, je me suis aperçu qu’il était difficile de ne pas entrer dans la linguistique à partir du moment où l’inconscient était découvert.5Lacan J., Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 19. »

Métonymie et interprétation

C’est, entre autres, l’article de François Leguil « Métonymie dans la psychose6Leguil F., « Métonymie dans la psychose », Scilicet, Les psychoses ordinaires et les autres, sous transfert, Paris, École de la Cause freudienne, coll. Rue Huysmans, 2017, p. 231-233.  », qui m’a fait associer métonymie et interprétation. F. Leguil y rappelle l’intérêt de Lacan pour la métonymie à partir du Séminaire, livre III, Les Psychoses, au point de dire justement dans ce Séminaire III : « la venue au jour de cette sous-structure toujours cachée qu’est la métonymie, est la condition de toute investigation possible des troubles fonctionnels du langage dans […] la psychose7Lacan J., Le Séminaire, livre III, Les Psychoses, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1981, p. 262.  ».

F. Leguil poursuit : « Avec l’écriture des formules de ”L’instance de la lettre”, Lacan souligne que l’enjeu est éthique : l’analyste a à se servir de l’arme de la métonymie8Cf. Lacan J., « L’instance de la lettre dans l’inconscient », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 517. . Jacques-Alain Miller reprend cela dans l’invitation ”à compléter la clinique de la substitution [métaphore] par une clinique de la connexion9Miller J.-A., La Conversation d’Arcachon. Cas rares : Les inclassables de la clinique, Paris, Agalma/Seuil, 1997, p. 279. ”. 10Leguil F., « Métonymie dans la psychose », op. cit., p. 232. » Et F. Leguil de conclure : « Se servir […] de la métonymie lorsque le sujet devient la proie du sens dans la psychose, est le nom d’une ascèse méthodique, qui contribue à la mise au point de cette suppléance, en la nommant avec Lacan : sinthome.11Ibid., p. 233. »

Cela m’apparaît éclairer l’interprétation qui joue sur l’équivoque du signifiant, sur sa sonorité plus que sa signification.

Page 80 du Séminaire, livre V, Les Formations de l’inconscient, Lacan nous fait « apercevoir la chute, la réduction, la dévalorisation du sens, opérée dans la métonymie », et indique page 81 que « la métonymie est à proprement parler le lieu où nous devons situer la dimension, primordiale et essentielle dans le langage humain, qui est à l’opposé de la dimension du sens – à savoir la dimension de la valeur ».

Enfin, dans un texte de J.-A. Miller publié dans Quarto n° 92, intitulé « Causerie sur Les formations de l’inconscient », il écrit : « La métonymie, c’est toutes les puissances d’écho du langage. C’est la capacité, la puissance du langage de faire entendre de ”l’expression verbale”, entre guillemets, tout autre chose à partir d’énoncés d’apparence innocente. C’est l’art de l’indirect. La métonymie est la ruse du langage par excellence, qui fait que, dit sur un certain ton, dans un certain contexte, l’énoncé innocent, l’énoncé inattrapable, a en fait des connotations qui sont atteintes indirectement.12Miller J.-A., « Causerie sur Les formations de l’inconscient », Quarto, no  92, avril 2008, p. 56. » « Atteintes » indique qu’une satisfaction est en jeu. Cette satisfaction de ce quelque chose que le langage atteint, alors qu’il est plutôt enclin à rater, est le cœur de l’affaire dans le Witz. Interpréter, à partir du silence, sous le mode du Witz, via le glissement métonymique, voilà donc une sacrée gageure pour l’analyste, mais ne nous perdons pas dans une voie qui serait celle d’un idéal, de l’acte idéal. Pensons à une éthique de l’acte, qui se structure comme tel dès lors qu’une conséquence en est tirée par l’analysant.

  • 1
    Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Silet », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris  8, cours du 23 novembre 1994, inédit.
  • 2
    Fonteneau F., L’Éthique du silence. Wittgenstein et Lacan, Paris, Seuil, 1999, p. 59. 
  • 3
    Ibid., p. 198. 
  • 4
    Lacan J., Séminaire, livre V, Les Formations de l’inconscient, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1998, p. 10. 
  • 5
    Lacan J., Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 19.
  • 6
    Leguil F., « Métonymie dans la psychose », Scilicet, Les psychoses ordinaires et les autres, sous transfert, Paris, École de la Cause freudienne, coll. Rue Huysmans, 2017, p. 231-233. 
  • 7
    Lacan J., Le Séminaire, livre III, Les Psychoses, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1981, p. 262. 
  • 8
    Cf. Lacan J., « L’instance de la lettre dans l’inconscient », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 517.
  • 9
    Miller J.-A., La Conversation d’Arcachon. Cas rares : Les inclassables de la clinique, Paris, Agalma/Seuil, 1997, p. 279. 
  • 10
    Leguil F., « Métonymie dans la psychose », op. cit., p. 232.
  • 11
    Ibid., p. 233.
  • 12
    Miller J.-A., « Causerie sur Les formations de l’inconscient », Quarto, no  92, avril 2008, p. 56.