Étudier Se former > Les blogs des Journées de l'ECF > J47
J47 - Apprendre : désir ou dressage, Une lecture du discours courant

Queers et psychanalyse

© J. Fournier.
10/10/2017
Fabrice Bourlez

Les queer studies – traduisons, à la lettre, « théories de la folle, du pédé, du bizarre » – ne vont pas sans militantisme. Leurs élans politiques et leurs revendications critiques prennent pour cible le dressage de nos modes de perception et de réflexion selon la seule norme hétérosexuelle. Sans s’en apercevoir ni le souhaiter, celle-ci a le vilain défaut de s’inscrire dans nos impensés, de se prendre comme base silencieuse de nos manières de voir et d’appréhender le monde : pour les queers, il s’agit d’une sorte d’a priori qui conditionne les subjectivités tout en stigmatisant les minorités. Tel est l’enjeu de leurs luttes: défaire la norme hétérosexuelle pour faire appel au plus bizarre et au plus singulier sans se laisser stigmatiser. À l’époque où ces courants sont apparus, l’épidémie du Sida décimait des franges entières de la population. L’engagement était vital : se taire, ne pas hurler, ne pas manifester, ne pas agir, c’était mourir. Et chaque geste posé de s’insurger contre les habitudes et les normes qui abandonnaient à leur sort les corps qui s’étaient aimés en-dehors des terrains balisés.

Ce travail activiste avait pour envers des déconstructions théoriques. Ces dernières ont d’abord été menées au sein des universités américaines en parallèle des combats pour la reconnaissance de diversités et de droits dans le champ des sexualités. Une fois la violence de l’épidémie surmontée, ces recherches ont continué de contribuer à la remise en cause non seulement de l’hétéronormativité, à chaque étage de nos sociétés, mais aussi aux croyances à l’identité. Les performances queer proposent des figures qui démultiplient à l’infini le prisme du genre : on sort ainsi du strict binaire identitaire homme/femme pour affirmer des parodies, des rôles, des styles bigarrés.

Au fond, cette complémentarité entre théorie et pratique, à la base des mouvements queer, n’est pas sans rappeler le mode de fonctionnement du travail psychanalytique. Pas de théorie sans clinique, pas d’abstraction gratuite, pas d’élaboration ou de construction sans conséquences psychiques. À l’action et à la réflexion militantes répondent donc l’engagement dans l’acte psychanalytique et la politique de l’inconscient.

Alors, en quoi les théories queer nous éduquent-elles ? D’une part, elles nous apprennent à reconnaître dans chaque livre, dans chaque film, dans chaque chanson le dressage social imposé à nos désirs. D’autre part, elles relisent la culture dominante pour la faire dévier depuis ses marges. Bref, elles questionnent la somme de nos préjugés.

La psychanalyse, de son côté, met son militantisme au service de la cause du désir. C’est faire le pari d’une singularité inéducable pour chacun des cas qu’elle rencontre. En analyse, pour découvrir son désir, chacun défait, désapprend, se délivre du poids des mots dont l’Autre familial ou social l’a affublé. Les axes empruntés par les queers et les psychanalystes sont donc différents. Mais ils sont plus complémentaires qu’il n’y paraît à première vue. Le travail des queers s’adresse à la société. Celui de l’inconscient, au sujet. Bien que de telles trajectoires soient opposées, dans un cas comme dans l’autre, continue de s’élaborer un effort incessant pour être éthiques et faire valoir un reste inassimilable aux logiques de l’universel.