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J52 , Orientation

Quand la pudeur vient à manquer

11/07/2022
Lilia Mahjoub

Pudeur et honte sont souvent confondues même si elles sont parfois liées. Ainsi, la honte peut affecter ou non celui ou celle dont la pudeur est mise à mal. Mais la honte peut aussi manquer, suite à un manque de pudeur.

Lorsqu’il s’adressa aux étudiants à Vincennes, c’est ce manque de honte que pointa Lacan chez ceux qui maintenaient avec force le discours de l’université.

Freud releva d’abord que la pudeur est une vertu1Freud S., « La féminité », Nouvelles conférences de psychanalyse, Paris, Gallimard, p. 174. qui concerne de façon plus spécifique et précoce les femmes. Outre qu’elle masque le manque de l’organe génital, elle assume d’autres fonctions. Parmi celles-ci, il cite l’invention du tressage et du tissage par les femmes. Il mentionne également que la pudeur a pour fonction2Freud S., Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, 1987, p. 99, 101 & 118. d’être une barrière psychique contre l’excès de jouissance sexuelle.

En parallèle à la fonction du beau comme barrière, Lacan fit aussi de la fonction de la pudeur une barrière3Lacan J., Le Séminaire, livre vii, L’éthique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 345.. Il énonça que son omission en tant qu’elle a l’« appréhension directe de ce qu’il y a au centre de la conjonction sexuelle, [lui] paraît à la source de questions sans issue, et nommément concernant la sexualité féminine4Ibid. ». La pudeur, en tant que branchée sur le non-rapport sexuel, s’avéra donc nécessaire à Lacan pour articuler ce qu’il en est de la femme.

S’il n’y a pas de rapport sexuel, la seule vertu pouvant répondre aux interrogations de Lacan, c’est la pudeur, elle aussi menacée de disparition. Ainsi, équivoque-t-il entre les non-dupes errent, titre de son Séminaire, et les non-pudes errent5Lacan J., Le Séminaire, livre xxi, « Les non-dupes errent », leçon du 12 mars 1974, inédit..

S’interrogeant sur la place du bien, il fit de la pudeur la seule vertu gouvernant le bien-dire propre au discours analytique. « Ça choque, ponctue-t-il, mais ça ne viole pas la pudeur.6Ibid. » On peut dire, comme il en va pour l’honneur, autre vertu que Lacan lie au discours de l’analyste, que la vertu est sauve via le bien-dire.

Ce qui peut donc faire outrage et annuler cette fonction qu’est la pudeur est de l’ordre du dit ou de l’action, comme le lance Hamlet à sa mère en l’accusant d’« une action qui flétrit toutes les grâces de la pudeur7Shakespeare W, Hamlet, traduction Le Tourneur, Le Puy, chez Carnets-Livres,mmvii, Acte iii, scène xix, p. 220. ». Tout dire, tout montrer, tout agir, ressortirait au défaut de pudeur et gommerait toute différence, certes celle entre homme et femme, mais aussi celle qui a cours, pour le sujet, entre ce qu’il dit et le dire qui peut s’y entendre. C’est sur cette différence que parie le discours de l’analyste.


  • 1
    Freud S., « La féminité », Nouvelles conférences de psychanalyse, Paris, Gallimard, p. 174.
  • 2
    Freud S., Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, 1987, p. 99, 101 & 118.
  • 3
    Lacan J., Le Séminaire, livre vii, L’éthique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 345.
  • 4
    Ibid.
  • 5
    Lacan J., Le Séminaire, livre xxi, « Les non-dupes errent », leçon du 12 mars 1974, inédit.
  • 6
    Ibid.
  • 7
    Shakespeare W, Hamlet, traduction Le Tourneur, Le Puy, chez Carnets-Livres,mmvii, Acte iii, scène xix, p. 220.