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J50 - Attentat sexuel, Orientation

Proton Pseudos

© AKOM
07/11/2020
Esthela Solano-Suárez

Au cours de cette période de préparation des J50, nous avons eu l’occasion de lire toute une pléiade d’auteurs dont les textes aussi prodigieux que variés ont présenté différentes facettes du thème « Attentat sexuel ».

D’emblée Laurent Dupont mit l’accent sur la pertinence psychanalytique du syntagme en question, nous proposant une lecture du cas Emma, faisant valoir que sous la plume de Freud ce terme qualifie l’expérience traumatique infantile reconstruite au cours de l’analyse, expérience ayant participé à l’étiologie de son symptôme. Patricia Bosquin Caroz fit aussi appel au cas Emma mettant à l’étude la temporalité d’après-coup que Freud y décèle en tant que force agissante au niveau des effets de l’événement traumatique. Ensuite nous avons eu l’occasion de lire l’étude par le menu du cas Emma proposée par Agnès Aflalo dont la lecture fait appel, entre autres, à la fonction du fantasme traumatique avancée par Lacan et mise en lumière par Jacques-Alain Miller.

Est-ce pertinent alors de reprendre ici le cas Emma ? N’avons-nous pas eu de lectures suffisamment éclairantes à son propos ? Revenir sur ce cas me procurait dans un premier temps un certain inconfort, cependant j’avais très envie de m’y mettre afin d’interroger de plus près la notion de Proton pseudos hystérique avancée par Freud à cette occasion, et si je ne me trompe pas, à cette unique occasion.

Comment surgit sous la plume de Freud cette idée d’un premier mensonge, d’une première fausseté à l’œuvre, se manifestant de façon évidente lors de l’élucidation du symptôme hystérique ? Ce qui est frappant c’est que Freud évoque à cette occasion un mensonge primordial, qui, au cours de l’analyse se révèle comme ayant partie liée aux effets d’une vérité naissante. Freud fait appel ici à Aristote.

La « première fausseté », ou proton pseudos, est un terme qui provient de la théorie du syllogisme d’Aristote1Freud S., Lettres à Wilhelm Fliess, Paris, PUF, 2006, p. 656, note des traducteurs., où il présente le cas de figure d’une première prémisse fausse en totalité, aboutissant à une conclusion pas vraie, tel que : Tout animal est pierre – Tout homme est animal – Tout homme est pierre2Aristote, Organon, t. III : Les Premières Analytiques, livre II, Librairie Philosophique J. Vrin, 1983, p. 213..

Freud, dans ses lettres à Fliess, avait déjà parlé d’« attentat sexuel » avant le compte rendu du cas Emma, et cela premièrement dans le Manuscrit B, du 21 mai 1893, où il évoque d’une part « un cas douloureux d’hypocondrie ayant commencé à la puberté », lui permettant de « mettre en évidence un attentat survenu à huit ans », notation suivie du rappel d’un autre cas qui « a trouvé son élucidation dans une réaction hystérique à un attentat masturbatoire3Freud S., Lettres à W. Fliessop. cit., p. 61.», sans que pour autant il développe à ce moment cette proposition. Plus tard, dans le Manuscrit J, non daté, mais vraisemblablement contemporain du « Projet », Freud présente le cas de Madame P. J., âgée de vingt-sept ans, souffrant de crises hystériques, dont l’élucidation a permis de mettre à jour une scène d’« attentat commis par le ténor4Ibid., p. 204.» de la troupe où cette cantatrice se produisait avant son mariage.

Dans ces observations cliniques Freud fait appel au terme d’attentat sexuel, sans qu’il soit encore question du proton pseudos.

Plus tard, dans la deuxième partie de l’Esquisse intitulée Psychopathologie de l’hystérique, Freud rend compte de la constitution du symptôme hystérique et remarque dans un premier temps que les malades « sont soumis à une contrainte qui est exercée par des représentations surfortes5Ibid., p. 651.». L’éveil de ces représentations conscientes suivies des conséquences symptomatiques telles que la déliaison de l’affect, des innervations motrices et des empêchements, apparaissent d’emblée selon Freud, comme relevant de l’absurde et du hors sens. S’impose alors à lui l’idée du non-rapport entre les représentations absurdes et les effets qu’elles produisent dans le corps.
Freud indique que le symptôme, qu’il appelle ici « contrainte hystérique », trouve une résolution dès que l’analyse aboutit à l’élucidation du processus, rendant raison de l’absurdité apparente et de la non-congruence6Ibid., p. 652. qui s’imposait auparavant à la patiente.

Freud aboutit alors à une première formalisation logique du processus de formation du symptôme. Nous pouvons constater que pour se faire, il se servira, à l’instar d’Aristote7Lacan signale que la substitution de lettres à la place des propositions constitue chez Aristote un pas fondamental dans sa démarche logique, au sens qu’il substitue au signifiant rhétorique l’écriture d’une lettre hors sens., des lettres majuscules pour désigner les représentations en jeu. Il pose alors qu’avant l’analyse une représentation A provoque des effets symptomatiques qui semblent absurdes. L’analyse permet ensuite de concevoir qu’il existe une représentation B préalable, responsable à juste titre d’une affectation. Or, la reproduction de cet événement dans le souvenir s’accomplit selon une configuration où A se substitue à B, à titre de symbole. Le symbole A, en tant que « circonstance annexe », éveillé de façon contingente, s’est « complètement substitué à la chose8Freud S., Lettres à W. Fliessop. cit., p. 653.»écrit Freud. Nous pouvons écrire ce processus de substitution ainsi : ⒜ sur B.

Il est saisissant de trouver ici la substitution métaphorique de B par A, dont Lacan, dans un premier temps de son enseignement, à l’aide de l’outil linguistique se servira pour rendre compte de la formation du symptôme comme étant relative à la substitution d’un signifiant par un autre signifiant.

Freud poursuit son explication du processus de formation du symptôme, introduisant le concept de refoulement : si A dans son absurdité est contraignant, en revanche B tombé dans l’amnésie est refoulé. Pour ce faire, non seulement il aura fallu que A se substitue à B, mais qu’au même temps la quantité d’investissement propre à B lui soit retirée pour investir à sa place A. Ici, il n’est pas question seulement de « représentation », c’est-à-dire du signifiant, mais d’un facteur quantitatif retiré à B et ajouté à A par un processus de déplacement, lequel ne diffère pas de « celui dont nous avons pris connaissance dans le rêve », témoignant ainsi que nous sommes dans le registre « d’un processus primaire9Ibid., p. 654.», ajoute-t-il.

La substitution métaphorique de la représentation s’accompagne, d’après Freud, du déplacement métonymique du facteur quantitatif. Nous pouvons lire cette proposition freudienne à la lumière de la conceptualisation de Lacan relative « au peu de réalité » qui se soutient au niveau du fantasme et dont la métonymie de la jouissance sustente le plus-de-jouir10Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2007, p. 149..

Avant de rentrer de plain-pied dans cette question, suivons Freud dans sa démarche initiale au moment où il fait un pas de plus indiquant que « le refoulement concerne exclusivement des représentations qui éveillent pour le moi un affect pénible », ajoutant que le propre de ces représentations c’est de provenir« de la vie sexuelle11Freud S., Lettres à W. Fliessop. cit., p. 654.».

Or, si le refoulement reste pour Freud dans ce texte « le noyau de l’énigme », l’élément crucial qu’il apporte consiste dans le constat que l’oubli et l’amnésie ne concernent que des représentations qui relèvent du « domaine sexuel ». Nous pouvons saisir en conséquence, que Freud, dès le début de sa découverte a été confronté par le symptôme hystérique au fait que « la sexualité fasse trou dans le réel12Lacan J., « Préface à L’Éveil du printemps« , Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 562.».

Freud fera donc appel à un cas, celui d’Emma, pour illustrer cette formalisation, mettant du coup en lumière le facteur temporel en jeu dans la formation du symptôme, dans la mesure où le processus de refoulement et la substitution du symbole à la chose, se présentent dit-il, comme « chronologiquement décalés13Freud S., Lettres à W. Fliess op. cit., p. 656.». Ce décalage temporel selon lui, nous confronte à la singularité du domaine sexuel, qui relève d’« une constellation psychique particulière14Ibid., p. 657.».

Emma, encore

Emma souffre de la contrainte de ne pas pouvoir aller seule dans un magasin. Un souvenir émerge, remontant à sa douzième année, peu après la puberté. Alors qu’elle fait ses courses dans un magasin elle vit deux commis qui riaient ensemble, et saisie d’effroi, elle prit la fuite. Elle associe que tous deux avaient ri de sa robe et l’un d’eux lui avait plu sexuellement.

Freud indique le non-rapport évident entre ces éléments et le symptôme de ne pas pouvoir aller seule dans un magasin. En effet, elle s’habille actuellement comme une dame, donc elle ne peut pas a priori être moquée à cause de sa robe. Qu’elle soit seule ou accompagnée cela ne change rien à son habillement, note Freud. Si un des deux commis lui avait plu, qu’elle soit aujourd’hui accompagnée quand elle fait ses courses, cela non plus n’y change rien. En conséquence ces souvenirs n’expliquent ni la contrainte ni la détermination du symptôme. Il aurait été inutile de proposer à Emma d’aller toute seule dans un magasin, se disant que tout cela était bien absurde, lui demandant de noter dans une échelle de un à dix la teneur de l’angoisse éprouvée pour rééduquer son comportement.
Freud ne reste pas dans la surface trompeuse de la représentation consciente et va faire venir au jour dans l’analyse un autre souvenir. À l’âge de huit ans elle se rend deux fois chez un épicier pour acheter de friandises. L’épicier lui agrippa les organes génitaux à travers ses vêtements. Malgré cela elle y revient et se fait alors des reproches, comme si elle avait voulu par là « provoquer l’attentat15Cf. Ibid., p. 658.».

Désormais, la scène I (commis) est rendue intelligible à partir de la scène II (épicier). Freud indique la liaison associative entre les deux scènes établie par la patiente : le rire des commis lui a rappelé le rictus dont l’épicier avait accompagné son attentat. Une autre similitude entre les deux scènes est celle de se trouver seule dans le magasin. Mais ce qui compte dans cette affaire c’est qu’entre-temps « elle est devenue pubère », dit Freud.

Die Bedeutung des Phallus

Un des commis avait plu à Emma, suscitant chez elle un émoi sexuel. Cette déliaison sexuelle qui se produit dans la scène I est rattachée au souvenir de l’attentat de la scène II, sans que pour autant cette expérience vécue à ses huit ans ait éveillé un affect d’angoisse au moment où elle avait eu lieu.

Freud avait déjà noté qu’un souvenir pouvait avoir un effet traumatique après-coup, du fait « qu’entre l’expérience vécue et sa répétition dans le souvenir vienne s’intercaler la puberté, qui accroît considérablement l’effet d’éveil16Freud S., « Manuscrit K », Lettres à W. Fliessop. cit., p. 210.».

La puberté rend possible, dit Freud, « une autre compréhension de ce qui est remémoré17Freud S., « Projet », Lettres à W. Fliess, op. cit., p. 660.». Cette « autre compréhension » nous renvoie à la signification sexuelle qui a chance de se produire dans l’après-coup de la rencontre avec la réalité sexuelle, au temps de l’enfance. C’est ce que Lacan rappelle à propos du symptôme, en disant que Freud a démontré que « les symptômes ont un sens, et un sens qui ne s’interprète correctement – correctement voulant dire que le sujet en lâche un bout – qu’en fonction de ses premières expériences, à savoir pour autant qu’il rencontre, ce que je vais appeler aujourd’hui, faute de pouvoir en dire plus ni mieux, la réalité sexuelle 18Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme »texte établi par J.-A. Miller, La Cause du désir, n° 95, avril 2017, p. 13.».

Cette rencontre, voire cette primitive expérience de jouissance, se produit pour l’enfant dans son propre corps. Ces premiers émois se présentent comme étant une chose bizarre et incompréhensible. Si bien Lacan donne dans ce texte l’exemple du Petit Hans confronté à la jouissance hétéro et hors-sens qui provient de ses premières érections, il en va de même pour la petite fille qui est en proie aux premières titillations érotiques. Sur le tard, et puisque l’enfant aura été confronté aux « problèmes de ce qui va l’effrayer », il fera « la coalescence, pour ainsi dire, de cette réalité sexuelle et du langage19Ibid., p. 14.».

Dans cette conférence, Lacan renvoie les auditeurs vers les deux conférences de Freud consacrées au symptôme 20Cf. Freud S., « Conférence XVII, Le sens des symptômes » et « Conférence XXIII, Les voies de formation des symptômes », Conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1999. où il explicite les deux versants du symptôme, le versant du sens et le versant de jouissance, lequel renvoie à « des expériences vécues purement fortuites de l’enfance », susceptibles de « laisser derrières elles des fixations de la libido21Ibid., p. 459.». À ce propos, Lacan signale que Die Bedeutung des Phallus se distingue du Sinn, que caractérise chez Freud le versant du sens du symptôme, tandis que la Bedeutung, en revanche, « désigne le rapport au réel » du sexuel. Et cela du fait que la « réalité sexuelle », chez les êtres parlants, se spécifie de ceci : « qu’il n’y a, entre l’homme mâle et femelle, aucun rapport instinctuel22Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme », op. cit., p. 15.». De sorte que la jouissance que l’on appelle sexuelle est à distinguer du rapport sexuel, lequel pour les êtres qui habitent le langage ne s’écrit pas.

En conséquence, « le langage, dans sa fonction d’existant, ne connote en dernière analyse que l’impossibilité de symboliser le rapport sexuel chez les êtres qui l’habitent 23Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, op. cit., p. 148.» et, de ce fait, la seule Bedeutung du langage c’est le phallus, en tant que fonction qui supplée dans le semblant le rapport sexuel qui ne s’écrit pas. C’est de cette seule Bedeutung, ajoute Lacan, que le langage « tire sa structure, laquelle consiste en ce qu’on puisse, de ce qu’on l’habite, en user que pour la métaphore, d’où résultent toutes les insanités mythiques dont vivent ses habitants, et pour la métonymie, dont ils prennent le peu de réalité qui leur reste, sous la forme du plus-de-jouir24Ibid., p. 149.».

Le vêtement

En ce qui concerne Emma, Freud indique à l’aide d’un schéma que rien de l’attentat sexuel ne se fraye une voie vers la conscience, excepté l’élément « vêtements« Cette représentation, indique Freud, sert à établir « deux fausses connexions25Freud S., Lettres à W. Fliessop. cit., p. 659.» à partir de la scène contingente. Commis, rire, vêtements, sensation sexuelle : on s’était moqué d’elle à cause de ses vêtements, et l’un des commis avait suscité son émoi sexuel 26Ibid.».

Le signifiant vêtements en tant que symbole, masque aussi bien que prend en charge la déliaison sexuelle, affect rattaché au souvenir de l’attentat et cependant pas rattaché à l’attentat lorsqu’il a été vécu. En conséquence nous pouvons conclure que la robe, le vêtement, est le semblant que recouvre le trou de ce qui s’est joui dans le corps de la petite fille de huit ans par l’action de l’épicier.

De ce fait la vérité qui se fait jour dans l’analyse d’Emma à propos de son symptôme « c’est ce qui, au moyen du langage, j’entends par la fonction de la parole, approche un réel27Lacan J., Je parle aux murs, entretiens de la Chapelle Sainte-Anne, présenté par J.-Alain Miller, Paris, Seuil, 2011.p. 60.».

Lacan dit bien : « approche un réel », ce qui ne veut pas dire qu’il est question d’une vérité sur le réel et cela parce que « le rapport sexuel fait défaut au champ de la vérité, en ce que le discours qui l’instaure ne procède que du semblant – à ne frayer la voie qu’à des jouissances qui parodient – c’est le mot propre – celle qui y est effective, mais qui lui demeure étrangère28Lacan J., Le Séminaire, livre XIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, op. cit., p. 149.».

Proton pseudos 

Lacan a pu dire un jour qu’« un trauma est toujours suspect29Lacan J., « Conférences et entretiens dans les universités nord‑américaines », Scilicet, n°6/7, Paris, Seuil, 1976, p. 22.». Cette formulation s’éclaire de la distinction établie par Jacques-Alain Miller entre le semblant et le réel30Miller J.-A., « En deçà de l’inconscient », La Cause du désir, n° 91, novembre 2015, p. 110-111.. Le sens induit par la connexion du signifiant au signifiant est ce qui du semblant s’articule à l’intersection du symbolique et de l’imaginaire. Tandis que le réel qui comporte « l’exclusion de tout sens31Lacan J., « Nomina non sunt consequentia rerum », Le Séminaire, livre XXIV, « L’Insu que sait que l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 8 mars 1977, texte établi par J.-A. Miller, Ornicar ?, n16, 1978, p. 12.» est séparé du sens. À cet égard, « au regard du réel l’idée de sens n’est que mensonge32Miller J.-A., « En deçà de l’inconscient », op. cit., p. 115.», et la pratique analytique opérant avec du sens « suppose un rapport […] du sens au du réel33Ibid., p. 113.», de sorte « le symbolique dans le réel donne un effet de sens qui échoue à rendre compte du réel34Ibid., p. 115.».

Ainsi, la sexualité qui fait trou dans le réel se trouve participer de la bifidité de l’effet de sens, dès lors que le réel du sexuel s’articule au semblant phallique et à l’objet petit a, a-sexué, lequel s’inscrit dans le fantasme à la place du partenaire sexuel, et d’autre part elle participe de l’effet de trou caractérisé par le signifiant qui manque dans l’Autre, auquel se substitue petit acomme semblant d’être. De cela se déduit qu’une analyse puisse démasquer « le ressort pseudo-sexuel : soit le réel qui, de ne pouvoir que mentir au partenaire, s’inscrit de névrose, de perversion ou de psychose35Lacan, J., « Télévision », Autres écrits, Seuil, 2007, p. 516.».

Lacan distingue ainsi, au cours de son dernier enseignement, « le réellement symbolique 36Lacan J., « Vers un signifiant nouveau », Le Séminaire, livre XXIV, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 17 mai 1977, texte établi par J.-A. Miller, Ornicar ?, n° 17/18, 1979 p. 9.» en tant que mensonge, du « symboliquement réel », à savoir ce que du réel nous trouvons dans le symbolique. À cette place Lacan inscrit l’angoisse, comme étant le seul affect qui ne ment pas, et aussi le symptôme « comme ce qui ne cesse pas de s’écrire, c’est-à-dire comme une connexion nécessaire qui transporte du sens dans le réel37Miller J.-A., « En deçà de l’inconscient », op. cit., p. 116.».

Encore faudra-t-il que dans une analyse le symptôme soit déshabillé du symbole, voire de la vêture des semblants, pour mettre à nu l’événement de corps, la trace de l’Un tout seul qui ne cesse pas de s’écrire à la place du rapport de deux, de deux sexes qui ne s’écrit pas.

Lacan conçoit alors la fin de l’analyse non pas comme le franchissement du réel, du trou autour duquel l’inconscient brode, mais la possibilité de cerner ce trou de l’impossible par la mise à l’épreuve du « mirage de la vérité, dont seul le mensonge est à attendre », ouvrant ainsi vers le terme d’une analyse dont l’expérience consiste dans l’assomption de « la satisfaction qui marque la fin38Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2007, p. 572.».

Le passage opéré par Lacan au cours de son tout dernier enseignement, du symptôme freudien vers le sinthome comme événement de corpsa rendu possible de dépasser l’aporie du proton pseudos décelée par Freud à l’orée de la naissance de la psychanalyse, laquelle participe aussi bien « de cette vérité dont rêve la fonction dite inconscient39Ibid., p. 572.», non sans être solidaire de la participation du semblant dans la formation du symptôme.

Le dispositif de la passe a été laissé par Lacan « à la disposition de ceux qui se risquent à témoigner au mieux de la vérité menteuse40Ibid., p. 573.».

Il me semble bien que « vérité menteuse » serait le nom donné par Lacan au proton pseudos freudien.


  • 1
    Freud S., Lettres à Wilhelm Fliess, Paris, PUF, 2006, p. 656, note des traducteurs.
  • 2
    Aristote, Organon, t. III : Les Premières Analytiques, livre II, Librairie Philosophique J. Vrin, 1983, p. 213.
  • 3
    Freud S., Lettres à W. Fliessop. cit., p. 61.
  • 4
    Ibid., p. 204.
  • 5
    Ibid., p. 651.
  • 6
    Ibid., p. 652.
  • 7
    Lacan signale que la substitution de lettres à la place des propositions constitue chez Aristote un pas fondamental dans sa démarche logique, au sens qu’il substitue au signifiant rhétorique l’écriture d’une lettre hors sens.
  • 8
    Freud S., Lettres à W. Fliessop. cit., p. 653.
  • 9
    Ibid., p. 654.
  • 10
    Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2007, p. 149.
  • 11
    Freud S., Lettres à W. Fliessop. cit., p. 654.
  • 12
    Lacan J., « Préface à L’Éveil du printemps« , Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 562.
  • 13
    Freud S., Lettres à W. Fliess op. cit., p. 656.
  • 14
    Ibid., p. 657.
  • 15
    Cf. Ibid., p. 658.
  • 16
    Freud S., « Manuscrit K », Lettres à W. Fliessop. cit., p. 210.
  • 17
    Freud S., « Projet », Lettres à W. Fliess, op. cit., p. 660.
  • 18
    Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme »texte établi par J.-A. Miller, La Cause du désir, n° 95, avril 2017, p. 13.
  • 19
    Ibid., p. 14.
  • 20
    Cf. Freud S., « Conférence XVII, Le sens des symptômes » et « Conférence XXIII, Les voies de formation des symptômes », Conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1999.
  • 21
    Ibid., p. 459.
  • 22
    Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme », op. cit., p. 15.
  • 23
    Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, op. cit., p. 148.
  • 24
    Ibid., p. 149.
  • 25
    Freud S., Lettres à W. Fliessop. cit., p. 659.
  • 26
    Ibid.
  • 27
    Lacan J., Je parle aux murs, entretiens de la Chapelle Sainte-Anne, présenté par J.-Alain Miller, Paris, Seuil, 2011.p. 60.
  • 28
    Lacan J., Le Séminaire, livre XIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, op. cit., p. 149.
  • 29
    Lacan J., « Conférences et entretiens dans les universités nord‑américaines », Scilicet, n°6/7, Paris, Seuil, 1976, p. 22.
  • 30
    Miller J.-A., « En deçà de l’inconscient », La Cause du désir, n° 91, novembre 2015, p. 110-111.
  • 31
    Lacan J., « Nomina non sunt consequentia rerum », Le Séminaire, livre XXIV, « L’Insu que sait que l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 8 mars 1977, texte établi par J.-A. Miller, Ornicar ?, n16, 1978, p. 12.
  • 32
    Miller J.-A., « En deçà de l’inconscient », op. cit., p. 115.
  • 33
    Ibid., p. 113.
  • 34
    Ibid., p. 115.
  • 35
    Lacan, J., « Télévision », Autres écrits, Seuil, 2007, p. 516.
  • 36
    Lacan J., « Vers un signifiant nouveau », Le Séminaire, livre XXIV, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 17 mai 1977, texte établi par J.-A. Miller, Ornicar ?, n° 17/18, 1979 p. 9.
  • 37
    Miller J.-A., « En deçà de l’inconscient », op. cit., p. 116.
  • 38
    Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2007, p. 572.
  • 39
    Ibid., p. 572.
  • 40
    Ibid., p. 573.