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J52 , Orientation

« Produire le sujet »

11/11/2022
Monique Amirault

Je suis ce que je dis. Cette formule, qui s’est répandue comme une traînée de poudre, témoigne d’un déni de l’inconscient, déjà présent ces dernières années dans les choix des politiques de Santé publique et qui n’ont rencontré, somme toute, que peu de protestations en dehors du champ des analystes. La dimension du sujet, la parole vive, sont devenues des variables encombrantes dans la gestion des populations, au profit d’un moi désormais maître dans sa maison, armé de son coach et de tous les objets produits pour son bien-être, sa résilience, son self-care, son bonheur.

Je suis ce que je dis ne laisse pas de place au sujet de l’inconscient, à la division subjective – au qui suis-je ? que suis-je ? – et ceux qui s’en réclament et le proclament ne cherchent pas à rencontrer un analyste. Mais « être » est un fait de discours et tout parlêtre, à la merci de la contingence, risque de voir se fissurer ou s’effondrer cette certitude d’être, cette illusion d’autonomie. L’analyste est alors là pour l’accueillir, avec son offre de parole. Il est là pour « produire le sujet1Miller J.-A., « Produire le sujet ? », Actes de l’École de la Cause freudienne, n° 4, mai 1983.», formule de Jacques-Alain Miller qui n’a rien perdu de sa pertinence. Dans le champ clinique, pour orienter son acte, « il faut d’abord passer par ce que le sujet dit de son être2Laurent D., « Dire pour être », publié le 4 juillet 2022 sur le site des 52e Journées de l’ECF, disponible ici.», écrit très justement Dominique Laurent. La parole reste le medium nécessaire.

Ainsi, certains sujets nomment leur être ou tentent de le construire en permanence – tâche infinie –, et il est essentiel de les accompagner, par la parole, parfois pour donner un peu de consistance à cette nomination, parfois pour en préserver la fonction de semblant, parfois pour accueillir un réel « insubmersible ».

Dans son texte « Enseignements de la présentation de malades3Miller J.-A., « Enseignements de la présentation de malades », Ornicar ?, n° 10, juillet 1977.», J.-A. Miller évoque deux cas particulièrement exemplaires : celui de cette femme qui traduit le « flottement perpétuel » dans lequel elle est par une formule remarquable, véritable trouvaille langagière : « je suis intérimaire de moi-même4Ibid., p. 22.». Aucune auto-détermination ni volonté identitaire dans cette formule unique, mais un bien-dire au plus près du réel de ce que J.-A. Miller épingle comme maladie de la mentalité. « Pas de signifiant-maître, et du même coup, rien qui vienne la lester d’aucune substance, pas d’objet (a) qui remplisse sa parenthèse5Ibid., p. 23.».

Le second cas est celui d’un homme qui, lui, loin de flotter, insubmersible, est dans la certitude de ce qu’il est : « je suis un petit salopard », « un fumier ». Il a déjà tenté de se suicider. Son médecin a ses raisons de penser qu’il est dangereux pour sa femme, et interroge Lacan à ce sujet. Lacan, « assuré de la structure », répond par la négative : « Non, il l’est pour lui. Je crains bien qu’il ne recommence à se suicider.6Ibid., p. 24.»

Seule la clinique analytique permet de donner un statut à ces signifiants singuliers et d’en déduire la marge étroite dans laquelle l’acte de l’analyste peut prendre place.


  • 1
    Miller J.-A., « Produire le sujet ? », Actes de l’École de la Cause freudienne, n° 4, mai 1983.
  • 2
    Laurent D., « Dire pour être », publié le 4 juillet 2022 sur le site des 52e Journées de l’ECF, disponible ici.
  • 3
    Miller J.-A., « Enseignements de la présentation de malades », Ornicar ?, n° 10, juillet 1977.
  • 4
    Ibid., p. 22.
  • 5
    Ibid., p. 23.
  • 6
    Ibid., p. 24.