Étudier Se former > Les blogs des Journées de l'ECF > J47
J47 - Apprendre : désir ou dressage, Orientation

Par sauts et par bonds

© J. Fournier.
07/09/2017
Philippe Hellebois

Le site propre du savoir est l’occasion.

J.-A. Miller1Miller J.-A., « La formation entre guillemets du psychanalyste », La Cause freudienne, n° 52, novembre 2002, p. 10.

Il y a apprentissage et apprentissage. Le premier, auquel l’on pense trop souvent, est celui de notre cursus scolaire aussi péniblement appris que vite oublié, têtes de classe comprises – qui pourrait encore repasser sans révision les examens de ses enfants, même jeunes ? Le bon sens, qui n’est jamais le meilleur, soufflera sans doute aux psychopédagogues que c’est assez logique : s’oublierait ce qui ne sert pas… Mais que dire par exemple d’un savoir qui ne se perd pas même si l’on s’en sert fort peu comme le vélo dont le caractère inoubliable est devenu proverbial ? La psychanalyse propose autre chose que l’argument de l’utilité qui ne convainc surtout que les convaincus, soit celui de la jouissance du corps : n’accèdent à l’inoubliable que les savoirs qui changent notre façon d’en jouir. Le vélo ne représente pas seulement le comble du dressage quand les ours du cirque peuvent faire avec lui des tours de piste, mais l’instrument d’une autre satisfaction, celle qui dépend du symbolique : la langue a d’ailleurs donné rapidement à cet engin apparu au xixe siècle sa valeur de jouissance, qui va du sexe à la torture, de la pédale aux forçats de la route2Si certains dictionnaires (Larousse) réfèrent la signification sexuelle de pédale à la position du cycliste sur le vélo, d’autres probablement plus sérieux (Guiraud, Dictionnaire érotique, Paris 1978), renvoient à autre chose, soit à une apocope avec suffixation parasitaire de pédéraste.

L’apprentissage qui nous importe est celui d’un savoir sur la vie, la nôtre et celle de quelques autres, plus précisément sur la façon d’en jouir puisque l’une ne va pas sans l’autre. Ce savoir-là s’apprend partout où l’on vit, même à l’école et dans les livres, n’en déplaise aux obscurantistes. Ce qui le rend si précieux n’est pas son lieu, qui est partout et nulle part, que son mode d’acquisition. Celui-ci ne se prévoit ni ne s’organise, il ne résulte pas d’un travail, d’un programme ou d’un projet, mais du hasard, de l’occasion, voire du kairos lorsqu’un vivant improbable a touché en nous, le plus souvent sans s’en douter, une corde aussi sensible qu’endormie. Cela peut faire trauma, coup de foudre, ou mieux encore interprétation, mais quelle que soit sa tonalité affective, c’est, comme le notait Lacan, une affaire d’immixtion, forme logique sur laquelle on serait bien inspiré de revenir… : « La dimension découverte par l’analyse est le contraire de quelque chose qui progresse par adaptation, par approximation, par perfectionnement. C’est quelque chose qui va par sauts et par bonds. C’est toujours l’application strictement inadéquate de certaines relations symboliques totales, et ça implique plusieurs tonalités, l’immixtion par exemple, de l’imaginaire dans le symbolique, ou inversement.3Lacan, J., Le Séminaire, livre ii, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1978, p. 108.»


  • 1
    Miller J.-A., « La formation entre guillemets du psychanalyste », La Cause freudienne, n° 52, novembre 2002, p. 10.
  • 2
    Si certains dictionnaires (Larousse) réfèrent la signification sexuelle de pédale à la position du cycliste sur le vélo, d’autres probablement plus sérieux (Guiraud, Dictionnaire érotique, Paris 1978), renvoient à autre chose, soit à une apocope avec suffixation parasitaire de pédéraste.
  • 3
    Lacan, J., Le Séminaire, livre ii, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1978, p. 108.