Étudier Se former > Les blogs des Journées de l'ECF > J47
J47 - Apprendre : désir ou dressage, Sublimations

Nous ne trébucherons pas

Entretien avec Gaëtan Peau

© J. Fournier.
09/11/2017
B. Gonzalez, R.-P. Renou

14 juillet 2016, un nouvel attentat frappe le territoire français le jour de sa fête nationale. De cette terreur que continuent d’instiller les terroristes, Gaëtan Peau, dans le cadre du cours de théâtre qu’il dirige au lycée Charlemagne à Paris, décide d’aborder ce sujet via un autre moment de l’Histoire où une vague de Terreur allait s’abattre sur la pays : la Révolution française.

La France, ses blessures récentes et le danger imminent de la montée des extrêmes sont au cœur de la réflexion de ce lycée. Gaëtan Peau crée avec ses jeunes élèves Nous ne trébucherons pas qui traite de la période de la Révolution française allant de l’arrestation du roi à son procès. Cette pièce, tissée de références soigneusement choisies – Jules Michelet, Joël Pommerat, et Georg Buchner –, fait aussi place à la façon bien singulière dont les élèves interrogent l’esprit de notre époque.

Pour les 47es Journées de l’École de la Cause freudienne sur le thème « Apprendre : désir ou dressage », il s’entretient avec Beatriz Gonzalez et René-Pierre Renou.

J47 : Comment vous est venue l’idée de monter ce spectacle avec vos élèves ?

Gaëtan Peau : À la rentrée 2016, le proviseur insista sur la notion de tragique qui frappait l’actualité et invitait les acteurs du lycée à y songer. Cette question à propos du tragique de notre époque m’anime d’emblée à en faire un usage théâtral. Le groupe d’élèves sera nombreux. La troupe prend corps ; c’est sur une année entière que nous allons travailler sur Nous ne trébucherons pas.

Il était important de créer d’abord une sorte d’armature composée de fragments des textes afin de la proposer aux élèves pour qu’ils puissent ensuite les explorer chacun à sa façon, participer à leur réécriture et finalement les jouer. Le sujet était difficile et la liberté théâtrale n’est pas chose aisée non plus. À ma surprise, il y aura eu un nombre record de textes écrits par les élèves.

J47 : D’où vous vient le désir d’initier des jeunes gens à la pratique du théâtre ?

G. P. : J’ai rencontré le théâtre étant moi-même lycéen. Cette découvert a été majeure : j’y ai ressenti une joie, une liberté dont je ne connaissais pas la possibilité. J’apprenais énormément sans le savoir. Mon désir d’enseigner n’est pas un désir de faire des acteurs, c’est un désir plus vaste, c’est un désir de théâtre avec tout ce que cela comporte. Par exemple, assez rapidement, l’élève se trouve « contraint » à jouer avec l’autre, et s’aperçoit des nombreux obstacles.

J47 : Ce que le « prof de théâtre » enseigne se traduit-il stricto sensu par ce que les élèves apprennent ?

G. P. : Ça me semble impossible. Il y a toujours un décalage entre la consigne du prof et le résultat. C’est là qu’il y a du « jeu ». Cet écart peut être de la perte ou du gain. L’intérêt se trouve au moment où apparaît une bizarrerie, alors que l’intention de l’élève de suivre la règle était sincère. Je pose des indications afin qu’ils découvrent toute l’étendue de ce qu’ils peuvent faire, et qu’ils ignorent. Je fais une différence entre l’autorité, et l’impératif. Ces consignes ne sont pas des impératifs, ce sont des repères. Le théâtre a ceci de particulier qu’il n’a jamais de certitudes sur ce qui est bon ou pas. On doit accepter de se tromper sans penser que ce sont des fautes.

J47 : Que veut un(e) lycéen(ne) qui s’inscrit pour la première fois à votre cours ? Comment y répondez-vous ?

G. P. : À vrai dire, je n’en sais rien. Je suppose qu’ils viennent chercher les vertus qui son véhiculées par le théâtre. Ce que je pense en revanche, c’est qu’ils ne trouveront pas que cela. Ils vont découvrir un lieu et un temps où seront évoquées, disputées, créées des actions qui ne peuvent être vécues ailleurs.

J’y réponds en grande partie par le travail et l’humour. Travailler en gaieté, voilà ma réponse puisque je ne pourrai répondre au désir de chacun.

J47 : Apprendre, désir, dressage ; qu’évoquent ces trois mots au regard de votre métier ?

G. P. : Je n’utilise jamais le mot dressage. En revanche j’utilise assez souvent le mot « dompter ». Il m’arrive de voir mes jeunes élèves créatifs, drôles, intenses, mais qui parlent trop, mal, de travers. Ils sont encombrés comme l’albatros du poète. Ils ont de grandes ailes, mais comment tailler là-dedans sans toucher leur capacité de voler ?

Le désir, ça évoque le mien qui doit être très présent et s’entendre – du moins je l’espère. Quant aux élèves, c’est un désir d’être là, un désir de jouer et d’entreprendre. Je le perçois leur désir sans trop en savoir plus, mais il me paraît évident.

À l’issue de la représentation de Nous ne trébucherons pas, j’ai appris par un enseignant qu’une des élèves était en très grande difficulté scolaire. Cette dernière, grâce à son travail et beaucoup d’abnégation, venait de monter sur scène. J’ignorais que ses difficultés étaient aussi importantes. Mais en effet, chaque semaine, je la voyais se battre avec les mots. Le français n’étant pas sa langue maternelle. Le théâtre peut permettre une éclaircie là où le lycée parfois enferme dans la difficulté. Continuer, dans le cas de cette jeune femme, à apprendre le français en l’incarnant, en incarnant une colère, une bataille – c’est pas mal, je crois. Il y a là quelque chose qui s’apprend, je l’ignorais. On peut enseigner là où on ne sait pas.