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J52 , Orientation

Ne rien vouloir savoir, un réel pour la psychanalyse

11/10/2022
Hélène Bonnaud

Il y a un paradoxe à parler de refus de l’inconscient. Cela ne change rien au fait qu’il occupe une certaine place dans la vie d’un sujet. Pourtant, aujourd’hui, il n’est pas rare qu’un tel se présente en indiquant qu’il n’y croit pas. Il vient voir un psychanalyste pour lui parler, en voulant faire de lui le partenaire idéal qui se tait. Il s’agit d’une demande de parole qui se dévide, jouissance autistique à s’écouter parler. C’est la jouissance du bla-bla-bla1 Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 53. que Lacan avait épinglée comme la jouissance d’une parole sans Autre.

Croire à l’inconscient

Alors, que veut dire « croire à l’inconscient » ? Cette formule figure à la fin du discours à l’EFP que Lacan prononça au moment où la passe divisait les analystes. « Le psychanalyste ne veut pas croire à l’inconscient pour se recruter. Où irait-il, s’il s’apercevait qu’il y croit à se recruter de semblants d’y croire ? L’inconscient, lui, ne fait pas semblant. Et le désir de l’Autre n’est pas un vouloir à la manque2Lacan J., « Discours à l’École freudienne de Paris », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 281.. » Serait-ce qu’à la fin d’une analyse, on devienne un incroyant de l’inconscient ? Lacan posait alors la question à ceux qui ont vu dans la passe un recrutement qui n’était pas fondé sur l’expérience de l’analyste, mais sur celle de l’inconscient comme savoir et que la passe veut explorer.

Ne pas y croire

La phrase qui fait le thème de nos Journées, « Je suis ce que je dis », équivaut à une fermeture de l’inconscient. Celui-ci, en effet, ne se dévoile pas à partir d’une affirmation qui se formule sur le mode tautologique, mais plutôt à partir d’un « je ne suis pas », inaugurant une demande d’être adressée à l’analyste. Il lui faut l’appel à l’Autre pour se constituer partie prenante d’un désir de savoir. Cela ne signifie pas pour autant que sous la demande, le refus de l’inconscient ne soit pas en jeu. Ainsi, Lacan, dans le Séminaire XI, indique que « la présence de l’analyste est elle-même une manifestation de l’inconscient3Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 115.», ajoutant « que lorsqu’elle se manifeste de nos jours en certaines rencontres, comme refus de l’inconscient – c’est une tendance, et avouée, dans la pensée que formulent certains – cela même doit être intégré dans le concept de l’inconscient4Ibid. ».

Il y a donc lieu de prendre à la lettre le fait que la manifestation d’un refus de l’inconscient ne peut pas ne pas être intégrée au concept de l’inconscient. Dès lors, qu’est-ce qui en découle ?

L’inconscient, une hypothèse

Pour Freud, l’inconscient est une hypothèse et ce terme convient bien à cette idée d’un refus de l’inconscient, du fait qu’il n’est pas démontré que son existence soit vraie. Réfuter l’hypothèse de l’inconscient s’adresse aussi à l’analyste. Elle fait donc symptôme, hypothèse que fera l’analyste, redoublant ainsi le fondement freudien. Parler de soi est du registre de la psychanalyse qui prône, depuis son invention, qu’une séance d’analyse consiste à laisser la parole se dire librement. Cependant, si la parole est libre, la psychanalyse la passe à la moulinette de ses ratages. Quand survient le lapsus, quelque chose se dit malgré le sujet. Il y a ouverture de l’inconscient. Le lapsus, c’est l’inconscient même, au sens où il vient interrompre la jouissance du bla-bla-bla, c’est l’inconscient pris en flagrant délit d’insu. Encore faut-il l’analyste pour le souligner. C’est là qu’il est attendu, s’il est bien celui qui veut se recruter à partir de l’inconscient. Y croire ne suffit pas, il lui faut en supporter la charge. C’est dire que pour le psychanalyste, l’inconscient n’est pas une idéalité mais une hypothèse à laquelle il donne du poids et dont la présence incarne un sinthome5Lacan J., Le Séminaire, livre XXIIILe Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 135..

Le refus de l’inconscient, un symptôme réel

Si l’inconscient ne fait pas semblant, alors il faut y croire. C’est en cela que le refus de l’inconscient s’entend comme refus de savoir au sens de l’inconscient dont la Verneinung, traduite par dénégation, prend forme d’un aveu6 Lacan J., « Fonction de la psychanalyse en criminologie », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 140., comme dans l’énoncé, « N’allez pas croire que7Lacan J., « Propos sur la causalité psychique », Écrits, op. cit., p. 179. », cité par Lacan.

« Je suis ce que je dis » est certes une intimation faite au sujet face à l’exigence d’assignation propre à notre époque. On doit savoir qui on est et ce qu’on veut. Le choix de l’inconscient apparaît comme dépassé, à l’heure où l’amour consiste en algorithmes et la jouissance, en addictions multiples. Dès lors, la jouissance du bla-bla-bla concerne particulièrement le discours actuel où le symptôme est jouissance addictive, la parole elle-même s’y investit. Ces demandes où l’inconscient est refusé s’instituent sur le fait que parler est équivalent à jouir, comme l’indique Lacan : « L’inconscient, ce n’est pas que l’être pense […] – l’inconscient, c’est que l’être, en parlant, jouisse, et, j’ajoute, ne veuille rien en savoir de plus. J’ajoute que cela veut dire – ne rien savoir du tout8Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 95.. »

La réaction thérapeutique négative

Les hystériques de Freud ne voulaient pas non plus de l’inconscient qui s’interprète. Freud les mettait à l’épreuve de savoir ce qu’il en déchiffrait. Ça ne tombait pas toujours au bon moment, d’où la réaction thérapeutique négative9Freud S., « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », Résultats, idées, problèmes II (1921-1938), Paris, PUF, 1985, p. 231-268.qui venait dire « stop, maintenant, ça suffit ». C’est ce mode du « stop, ça suffit », qui aujourd’hui, prévaut car il y a eu abus d’interprétations. D’où l’effet de stérilisation du discours analytique et la réaction négative qui s’ensuit. Il s’agit d’une défense contre le savoir imposé. C’est aussi un des noms du réel de Lacan, ce qui ne peut pas s’interpréter, ce qui résiste au symptôme. Là où la réaction thérapeutique négative signale le refus du sens, Lacan a fait de l’inconscient réel une autre voie dont certaines dénégations marquent l’indice de ce qu’on s’en approche. Le refus de l’inconscient est un des noms du réel de la psychanalyse.

 


  • 1
     Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 53.
  • 2
    Lacan J., « Discours à l’École freudienne de Paris », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 281.
  • 3
    Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 115.
  • 4
    Ibid.
  • 5
    Lacan J., Le Séminaire, livre XXIIILe Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 135.
  • 6
     Lacan J., « Fonction de la psychanalyse en criminologie », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 140.
  • 7
    Lacan J., « Propos sur la causalité psychique », Écrits, op. cit., p. 179.
  • 8
    Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 95.
  • 9
    Freud S., « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », Résultats, idées, problèmes II (1921-1938), Paris, PUF, 1985, p. 231-268.