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J49 - Femmes en psychanalyse, Orientation

Mon corps

© Lily - Patty Carroll
30/04/2019
Hélène Bonnaud

Que dire du corps qu’on a ?* De mon corps, puisque dans la psychanalyse, c’est lui qui est affecté par le signifiant et de ce fait, prisonnier de la parole. « Ce sur quoi l’homme insiste, c’est non pas qu’il est un corps, mais […] qu’il l’a1Lacan J., « Conférences et entretiens », Columbia University, 1975, Scilicet 6/7, Seuil, Paris, 1976, p. 49.», dit Lacan. Si j’en parle, c’est bien parce que je l’ai. Parfois, d’une façon qui me paraît insupportable au point que je veuille m’en séparer. Dans le passage à l’acte mortel ou dans les prises de risque mais aussi dans de nombreux symptômes qui affectent le corps, le transforment, l’endorment, l’ensevelissent ou le précipitent vers sa perte – Cf. le cas de la jeune homosexuelle de Freud. Ainsi, de l’avoir n’est jamais simple. D’où la difficulté à s’accorder avec ce corps-là, le mien, celui que je n’ai pas choisi, et qui m’est imposé par mon histoire, mon sexe, mes gènes et, faut-il ajouter, mon fantasme.

Mon corps, mon image

De toujours, le corps féminin a été un objet de désir dont l’image célébrant sa beauté est aujourd’hui, remise en question. « Femmes-objet » en ont conclu les premières féministes. Un reportage sur Brigitte Bardot a pu montrer combien sa présence électrisait le désir des hommes au point qu’elle en a perdu le désir d’être regardée. À trente-huit ans, elle a renoncé au cinéma et a voué sa vie à la cause animale.

Aujourd’hui, la photo constitue toujours le support privilégié à sublimer les corps féminins. Son impact a envahi les écrans. Et de fait, l’image a cette fonction de reconnaissance qui idéalise ou protège mais peut aussi être utilisée à des fins cruelles et perverses. Rappelons ici les premières histoires concernant l’usage de photos de corps d’adolescentes postées sur internet par les « amoureux » auxquels elles croyaient avoir adressé leur corps en photo. La violence et le viol ont la même racine et sont aujourd’hui dénoncés – le harcèlement2Bonnaud H., « La face haineuse du harcèlement scolaire », Lacan Quotidien, n° 482, 25 février 2015, disponible en ligne ici. utilise souvent la messagerie instantanée pour déposer commandements, injures et humiliations – de même, le mouvement #MeToo dénonce les abus de relations sexuelles non consenties dans tous les milieux. Les femmes ont désormais un corps qui entend faire entendre que le non n’a pas de sens caché ! Et en effet, la transparence étant toute entière au service à rendre à l’autre, en matière sexuelle, il faudra s’y conformer. Ainsi, les rencontres passent par les nombreuses applications qui permettent de rencontrer un-e ou plusieurs partenaires puisque de fait, on ne se drague plus dans les lieux publics. Tout se passe dorénavant devant son écran. On se choisit sur portrait puis le corps s’invite sous forme de photos plus ou moins érotiques, permettant de s’engager plus avant dans l’aventure virtuelle. Ainsi, à se dévoiler, le corps se donne à l’autre par voie de transfert, transfert d’images. Celles-ci jouent sur différents registres, entre virtuel et réalité au point que pour certains-es, le virtuel prend le pas sur la rencontre des corps dans le jeu amoureux. Le champ y serait-il plus libre ? Comment dès lors, comme le dit Lacan, une femme se fait-elle « symptôme d’un autre corps3Lacan J., « Joyce le symptôme », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 569.» ?

Mon corps, ce mystère

Qu’il s’agisse des changements corporels de l’adolescence, des premiers rapports sexuels, de la maternité, « mon corps » est aussi un réel que Lacan a qualifié de « mystère4Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J. A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 118.». On l’entend dans les symptômes de certaines femmes éprouvant toute forme d’intrusion dans le corps comme insupportable, marquant l’impossibilité d’envisager leur corps comme objet de la médecine, voire objet d’un homme ou de tout autre corps. Mon corps n’est qu’à moi, fait alors symptôme. Il est tout autant mystère quand il se manifeste par des symptômes qui prennent racine dans les signifiants singuliers de chacune, qu’il s’agisse de l’anorexie qui est un refus du corps féminin ou de la boulimie qui, à l’inverse, écrase le besoin de se nourrir dans une jouissance orale débridée. Entre les deux, se situe toutes les variations liées à la maîtrise de la pulsion orale – entre le rien et l’excès – qui impactent le corps.

Mon corps, ça se jouit

Mon corps est un objet qui sert à dire qui je suis mais pas sans la jouissance qui l’excède : « Je suis donc se jouit5Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Choses de finesse en psychanalyse », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 6 mai 2009, inédit.». Il m’assigne à une place. La mode, par exemple, est le doudou du corps, elle le sublime. J’en jouis comme je veux. C’est moi ou plutôt ma jouissance. C’est elle en plus de ce moi qui est sujet de mon inconscient. C’est mon corps détaché de mon esprit, qui selon Descartes6Descartes R., 6e méditation, Méditations métaphysiques., a la propriété d’être divisible là où la pensée est une. D’où l’idée que le corps est fait de parties. Ce que la psychanalyse confirme : « le savoir affecte le corps de l’être qui ne se fait être que de paroles, ceci de morceler sa jouissance, de le découper par là jusqu’à en produire les chutes dont je fais le (a), à lire objet petit a7Lacan J., « Ou pire… », Autres écrits, op. cit., p. 550.». L’hystérique parle certes de son corps morcelé par le symptôme dans l’analyse, et cela parce qu’elle « parle avec son corps, et ceci, sans le savoir8Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 108.».

Mon corps, Autre à soi-même

Le corps des femmes n’a de limites que la parole qui manque à dire la jouissance qui fait d’une femme, selon Lacan, « cet Autre pour elle-même9Lacan J., « Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine », Écrits, op. cit., p. 732.». Un aperçu de cette jouissance supplémentaire se lit pourtant dans les analyses de femmes, pas-toutes certes, la psychanalyse n’étant elle-même qu’un corps parlant pour entendre « ce qui se dit dans ce qui s’entend10Lacan J., « L’étourdit », Autres Écrits, op. cit., p. 449.».

 

* Ce texte a été initialement rédigé pour présenter la rubrique « Mon corps » sur le blog des 49es Journées de l’ECF.


  • 1
    Lacan J., « Conférences et entretiens », Columbia University, 1975, Scilicet 6/7, Seuil, Paris, 1976, p. 49.
  • 2
    Bonnaud H., « La face haineuse du harcèlement scolaire », Lacan Quotidien, n° 482, 25 février 2015, disponible en ligne ici.
  • 3
    Lacan J., « Joyce le symptôme », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 569.
  • 4
    Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J. A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 118.
  • 5
    Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Choses de finesse en psychanalyse », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 6 mai 2009, inédit.
  • 6
    Descartes R., 6e méditation, Méditations métaphysiques.
  • 7
    Lacan J., « Ou pire… », Autres écrits, op. cit., p. 550.
  • 8
    Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 108.
  • 9
    Lacan J., « Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine », Écrits, op. cit., p. 732.
  • 10
    Lacan J., « L’étourdit », Autres Écrits, op. cit., p. 449.