Marilyn Monroe compte parmi les femmes qui ont marqué l’air du temps et contribué à façonner la féminité moderne. « Une grande actrice surgit toujours comme une femme absolument singulière […] une femme-symptôme1Wajcman G., « Faire face, faire bande, faire feu », Revue de l’Institut du Champ freudien, Marseille, mars 2013, p. 88-95.». Marilyn Monroe a compris, la première, que « le moteur absolu du cinéma, c’est sa charge érotique2Santucci F.-M. (s/dir.) & Franck-Dumas É., Monroerama, Paris, Stock, 2012, p. 100.» et l’a assumé pleinement. Elle fait couple avec la caméra.
Les époux
Marilyn Monroe s’est mariée avec trois hommes. À chaque fois, ce fût un désastre. Elle a épousé le premier, Jim Dougherty, à l’âge de seize ans, sur les conseils de sa tante Grace, pour se caser. Très vite, Jim s’engage dans la marine marchande. Lorsqu’il revient, elle a commencé sa carrière de mannequin et ne s’intéresse plus à lui. Elle rencontre ensuite à 25 ans, Joël Dimaggio. C’est un célèbre joueur de base-ball, quasiment un héros national, mais en fin de carrière. Elle-même, déjà célèbre, recherche « un seigneur ». Le mariage durera à peine quelques mois, de janvier à octobre 1944. Le couple ne résiste pas au tournage de la scène mythique au-dessus de la bouche de métro. Cette scène qui fera le tour du monde, introduit un nouveau rapport aux semblants de la féminité. Marilyn en joue, voire en jouit de façon impudente : « Is’nt it delicious ? »
Puis ce fut Arthur Miller, un écrivain de théâtre, érudit, très en vogue mais en panne d’inspiration. Elle, la mauvaise élève, complexée par ses échecs scolaires, attend de cet homme, de dix ans son aîné, qu’il comble ses lacunes. Lui, épouse un corps. Leur mariage – « rencontre de la carpe et du lapin », dira-t-on – durera cinq ans (1956-1961). A. Miller voue sa vie au travail. Marilyn se sent délaissée. En 1956, elle découvre dans un journal intime, qu’il la méprise pour sa faiblesse psychique et la trompe. Deux fausses couches contribuent à ruiner leur relation.
Devenue une star internationale, elle espère trouver un homme à sa mesure en la personne du Président Kennedy. Elle, La femme – la femme de tous les hommes – ne pouvait que prétendre à faire couple avec un homme incarnant l’exception masculine, The Prez. Mais lui aussi la laissera tomber. Lorsqu’il estime qu’il a ses chances d’accéder à la présidence, il ne lui répond plus. Marylin ne se remettra pas de ce nouvel abandon (1959). On se souvient du pathétique « Happy birthday, Mr President ». Dans cette séquence, la sensualité qu’elle dégage frôle l’impudeur. Elle met à bas tous les semblants : arrivée avec un retard immodéré, elle entre en scène alcoolisée et sous l’effet des barbituriques. Que cherche-t-elle à travers ces hommes d’exception ?
Les partenaires : le public et Dieu
Adolescente, elle a pris conscience de son pouvoir libidinal quand elle a dû emprunter, à une amie, un pull trop petit pour elle. Elle évoque ce moment dans ses mémoires : « Et comme je me dirigeais vers ma place, tout le monde se mit à me regarder fixement, comme s’il m’était poussé deux têtes…3Charyn J., La dernière déesse, Paris, Gallimard, 2007, p. 49.» Sa poitrine sera dès lors une arme fatale pour faire perdre la tête aux hommes.
Marilyn sera toujours plus à l’aise avec son public qu’avec un homme en chair et en os. Lorsqu’elle part au Japon, en lune de miel avec J. Dimaggio, l’armée américaine l’invite à chanter devant les troupes de Corée. Elle en témoigne ainsi : « J’avais dix-sept mille soldats devant moi […] Ils hurlaient tous vers moi […] La neige tombait mais j’avais plus chaud que sous un soleil brûlant […] Je n’oublierai jamais ma lune de miel avec la quarante-cinquième division4Ibid., p. 61.». On peut dire que son partenaire est son public, d’autant que sa vocation d’actrice prend racine dans un fantasme.
Jeune fille, elle faisait souvent ce rêve : elle entrait dans une église vêtue d’une jupe évasée, sans culotte (de fait, elle était souvent nue sous ses robes ultra moulantes5Santucci F.-M. (s/dir.) & Franck-Dumas É., « Sans dessous et dessus chics », Monroerama, op. cit., p.178.). Elle enjambait les fidèles qui en profitaient pour regarder sous sa jupe. Elle ressentait une envie irrésistible de se déshabiller à l’église et de s’offrir nue au regard de Dieu et des fidèles. Elle priait pour résister à ces envies. Ce fantasme fait écho à la phrase, entrée dans l’histoire – via la publicité – « Pour me coucher, je ne porte que quelques gouttes de Chanel n°5». Elle ne pouvait s’approprier son corps qu’exhibé et dépouillé des voiles du tutti quanti.
Solution par l’exception
C’est à la plage qu’elle découvrit vraiment l’importance du public comme « le seul foyer capable de l’accueillir ». Elle se souvient : « Il se passa exactement ce qui s’était passé au cours de math mais sur une plus grande échelle […] Une étrange sensation m’avait envahie, comme si j’avais été scindée en deux personnes distinctes. L’une, Norma Jeane de l’orphelinat, n’appartenait à personne6Norma Jeane Mortenson est son nom. C’est le sujet désarrimé. L’autre, j’en ignorais le nom mais je savais où était sa place. Elle appartenait à l’océan, au ciel, au monde entier. » Formule qui évoque un dénouage de l’imaginaire et du symbolique. Le regard du public vient à la fois recouvrir la béance narcissique sous le masque de la « bombe sexuelle » et agrafer un nom de scène à une image du corps précaire. Ces éléments évoquent la solution du Président Schreber: « Sans doute la divination de l’inconscient a-t-elle très tôt averti le sujet que, faute d’être le phallus qui manque à la mère, il lui reste la solution d’être la femme qui manque aux hommes.7Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 566.»
Le succès de Marilyn est sa solution ; elle s’invente elle-même un nom et un style. Le masque de la star lui fait une seconde peau. « Je voudrais disparaître dans l’image ou hors de l’image, ça m’est bien égal8Jeudy P., Marilyn-Dernières séances, 2009.», affirme-t-elle. Dans le film Certains l’aiment chaud de Billy Wilder, elle est tellement caricaturale – sous l’effet sardonique9Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 466.– que le réalisateur la place sur le même plan que deux travestis.
Quand son dernier analyste, Ralph Greenson, lui demande si elle se prend pour une exception, elle répond : « Non, je suis une exception. » Malheureusement, celui-ci se prit les pieds dans le tapis en s’immisçant dans la vie de sa patiente : analyste, médecin, ami, coach, conseiller fiscal, etc. Il fallait prendre très au sérieux l’avertissement de la star : « J’ai toujours été effrayée à l’idée d’être la femme de quelqu’un10Monroe M., Fragments, poèmes, écrits intimes, lettres, Paris, Seuil, 2010, p. 139.».