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J48 - Gai, gai, marions-nous !, Une lecture du discours courant

Mariage et féminité

Des demandes spéciales

© J. Fournier.
13/07/2018
Marga Auré

Marga Auré s’entretient avec le Dr Anne Douchet, gynécologue-obstétricienne, exerçant en cabinet libéral depuis vingt-et-un ans.

Marga Auré : Le jour du mariage est un jour très spécial dans la vie d’une femme. Les préoccupations ont-elles changé dans ces dernières années, d’après votre clinique de gynécologue-obstétricienne ?

Dr Anne Douchet : Avant octobre 2007, il existait en France une obligation pour les futurs époux d’obtenir un certificat médical rédigé sur un formulaire remis par la mairie attestant avoir pris connaissance des résultats des sérologies de rubéole et de la toxoplasmose de la future épouse ainsi que de son groupe sanguin. Une détermination des sérologies VIH (Virus de l’Immunodéficience Humaine) était également proposée facultativement aux deux intéressés. Il s’agissait d’alerter les couples de façon individuelle sur les risques des infections sexuellement transmissibles et d’informer les femmes sur les différentes mesures de prévention possible en prévision d’une grossesse ou à l’inverse sur la contraception.

Compte-tenu du fait que 40 % des naissances ont lieu hors mariage d’une part et que l’information est devenue plus facile d’accès, le législateur a supprimé cette obligation, laissant au médecin et au patient seuls la responsabilité d’échanger les informations et mesures utiles pour différentes préventions qui restent elles, néanmoins souhaitables. Cela représente peut-être une perte de chance pour les femmes non suivies régulièrement en gynécologie d’accéder à au moins un examen dans le cadre du bilan prénuptial.

M. A. : Avez-vous constaté, dans votre pratique, des craintes, préoccupations, demandes ou embarras particuliers dans la préparation de vos patientes à cet évènement ?

Dr A. D. : C’est très divers et difficile à répertorier. Il y a régulièrement des demandes de traitement visant à obtenir une aménorrhée le jour du mariage ; il s’agit donc, au moment d’entrer dans un ordre symbolique différent, de ne justement pas avoir de règles, ce qui peut sembler paradoxal et amusant pour autant que l’on ait un peu de distance par rapport à la situation. C’est d’autant plus amusant que la plupart du temps, ces demandes arrivent trop tard dans le cycle pour pouvoir être exaucées et l’on assiste alors à un ratage comme si, inconsciemment, il y avait une sorte de tentative pour échapper à une forme d’ordre pour finalement mieux s’y conformer.

Il y a aussi des demandes régulières de contraception pour éviter une grossesse au moment du mariage, et ne pas risquer d’avoir les inconvénients des nausées du premier trimestre.

Plus rarement, il y a des demandes de certificat de virginité propre aux femmes de confession musulmane, pour lesquelles le collège national de gynécologie-obstétrique recommande, si toutefois l’on accepte de rédiger un tel certificat, d’inscrire que la patiente, à la date du certificat, ne présente pas de signe évident de défloration. En effet, ce qui est vrai un jour peut ne plus l’être le lendemain et d’autre part, il existe parfois des variations anatomiques rendant difficile la réalisation d’un tel certificat (cas des hymens dits « complaisants »). Il me semble compréhensible qu’une telle demande, qui n’a rien de médical, puisse être acceptée avec difficulté par un médecin exerçant dans le cadre d’une société laïque et qui se trouve confronté à un système de pensée relevant d’une organisation symbolique différente et donc d’un autre système de valeur. Les difficultés sont encore plus importantes s’agissant des demandes de réfections d’hymen.

Plus rarement, on peut avoir à faire à des questions étonnantes, comme de savoir si l’on peut attribuer la paternité d’un embryon à un géniteur donné chez une patiente ayant eu deux partenaires à des intervalles relativement proches, la réponse étant utile à la patiente pour choisir lequel elle épousera (!), ou encore pour choisir si elle gardera sa grossesse ou non.

M. A. : Les demandes de traitement du vaginisme, de la stérilité et de la disparition du désir chez les femmes ont-elles un impact particulier du fait du mariage ?

Dr A. D. : Je n’y avais pas réfléchi jusqu’à présent, mais effectivement, pour les questions de vaginisme la question est d’autant plus facilement abordée en consultation que les femmes sont mariées. Il me semble que les cas de vaginisme sont moins fréquents qu’il y a quelques années et je ne crois pas avoir rencontré de femme non mariée, ou encore célibataire, se plaignant de ce symptôme.

Pour ce qui est de la perte du désir, il y a trois circonstances rencontrées régulièrement : certaines femmes voient leur libido diminuer de façon claire et sans ambiguïté sous contraceptifs oraux, et je dirai que pour le médecin ce sont les cas en apparence les plus faciles à prendre en charge dans la mesure où, en quelque sorte, « il suffit » de changer de modalité de contraception. Le post partum est également une situation où la baisse du désir est fréquente, et je dirai quasi physiologique, mais je ne crois pas avoir constaté là non plus de différence entre femmes mariées ou non. Enfin, à partir de la ménopause, les femmes se plaignent régulièrement de troubles du désir et de l’inadéquation de leur baisse de libido face au désir de leur mari qui, lui, semble inchangé. Est-ce le fait de l’âge qui fait que finalement, si elles étaient en couple depuis longtemps, elles se sont majoritairement mariées ? Mais je ne pense pas avoir d’exemple de femme non mariée exprimant cette plainte. Pour autant qu’elles en parlent, la référence au partenaire se fait toujours en parlant d’un mari : « mon mari n’est pas content », « mon mari n’ose plus car il sait qu’il va me faire souffrir », « mon mari dit que je le fais exprès », etc.

Ce qui est curieux, c’est qu’il est difficile de faire la part des choses entre ce qui se passe d’un point de vue psychique et la réalité physique de l’atrophie vaginale par carence hormonale si fréquente en post ménopause. Il arrive régulièrement que les femmes renoncent à la sexualité du fait de leur sécheresse vaginale, sans pour autant consulter pour ce motif. Et il revient donc au médecin de s’enquérir de ce qu’il en est et, le cas échéant, de proposer une prise en charge qui sera diversement acceptée d’ailleurs, soit que cela soit pris comme une aide précieuse, soit a contrario que le fait de devoir s’occuper régulièrement de la trophicité vaginale soit vécu comme une contrainte pénible… Quand on n’a pas à faire à des situations étonnantes : ainsi, telle patiente de soixante dix ans me disait qu’il était inutile que je lui prescrive des ovules hydratants car elle ne supportait pas de faire des rêves érotiques provoqués par l’application du dit traitement !