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J48 - Gai, gai, marions-nous !, Une lecture du discours courant

Le mariage, acte créateur de la famille ?

Mariage, PACS et filiation

© J. Fournier.
12/06/2018
V. Voruz, C. Simler, D. Porcheron

Véronique Voruz, psychanalyste, s’entretient avec Christel Simler et Delphine Porcheron, maîtres de conférence respectivement en droit de la famille et en droit privé international à l’université de Strasbourg.

Véronique Voruz : Qu’est-ce qu’une famille aujourd’hui en droit ?

Christel Simler : En droit français, le mariage reste un critère puisque le symbole en est le livret de famille, qui n’est délivré qu’aux couples qui se marient et aux couples qui ont un enfant.

Delphine Porcheron : Ou à la personne qui a un enfant.

V. V. : Donc, en droit français, une famille est définie par l’attribution du livret de famille ?

C. S. : Non, le livret est la conséquence de la famille. C’est tout d’abord le mariage qui reste un acte créateur de famille – même si au moment où il a été ouvert aux homosexuels, la loi a indiqué que toutes les conséquences sur la filiation ne s’appliqueraient pas aux couples homosexuels. Un couple homosexuel marié est néanmoins une famille, c’est pour cela qu’il peut adopter. En revanche, il est privé des autres effets sur la filiation, ainsi que de la possibilité d’accéder à la PMA. Quand le débat s’est engagé sur l’ouverture du mariage aux homosexuels, certains ont dit qu’il fallait leur ouvrir cette possibilité, mais leur refuser les enfants. Ce qui est absurde, puisque l’essence de l’institution du mariage en France, c’est la famille. On ne peut pas retirer la famille du mariage, sinon ce n’est plus un mariage. C’est la raison pour laquelle le PACS a été créé en 1999, un équivalent du mariage qui est sans conséquence sur les enfants, et qui n’est donc pas une famille. En 2013, lorsque la question du mariage s’est à nouveau posée, certains, qui n’y connaissaient rien, voulaient un mariage sans famille, ce qui est impossible puisque cela remettait en cause l’institution même du mariage. Il a donc fallu permettre à ces couples d’avoir des enfants, et le moyen le mieux accepté a été l’adoption.

V. V. : Cela a été implicite, puisque le fait d’ouvrir le mariage à deux personnes du même sexe ouvrait ipso facto le droit à l’adoption : le simple fait de dire qu’un couple peut se marier ouvre la possibilité de l’adoption.

C. S. : Tout à fait, mais il y a eu tout de même une précision : les dispositions du Code civil sur la filiation ne s’appliqueront pas. On fermait ainsi toute discussion à ce sujet.

D. P. : Il y a quand même eu une évolution, puisque le mariage était centré sur la famille mais aussi sur la procréation. Avec l’ouverture du mariage aux homosexuels, il y a eu une dissociation entre le couple lui-même et la procréation.

C. S. : En effet, puisque par exemple, quand on apprend que son conjoint est stérile, on peut demander l’annulation du mariage puisqu’on se marie pour fonder une famille.

V. V. : La procréation est donc au cœur de la notion de famille, puisque ce qui est au cœur du mariage c’est la procréation.

C. S. : Elle l’est, mais on n’empêche pas les petits vieux de se marier !

V. V. : Pour résumer, en droit français aujourd’hui, un couple hétérosexuel ou homosexuel marié et sans enfant est une famille, ainsi qu’une femme célibataire avec un enfant. Donc, finalement, qu’est-ce qui fait l’essence d’une famille en droit français aujourd’hui ?

C. S. : C’est soit le mariage, soit l’enfant, et non pas la notion de couple en tant que telle. Ce qui a conduit à ces transformations, c’est aussi l’idée de la liberté du mariage : la liberté de se marier pour avoir ou non des enfants. On n’imaginerait pas refuser le mariage à des personnes de 70 ans du fait qu’ils n’auront pas d’enfant. La conception hyper-traditionnaliste du mariage a cédé face à cette reconnaissance de la liberté du mariage.

V. V. : Il y a donc deux manières de former une famille : soit par le choix, soit du fait biologique de la reproduction. C’est ce qui est reconnu en droit aujourd’hui : le choix du lien, ou la famille définie comme cellule reproductrice. Prenons l’exemple d’un couple de femmes ayant adopté un enfant, un enfant qui n’aurait de lien biologique avec aucune des deux. Dans ce cas, quel serait le fondement de la notion de famille ?

C. S. : C’est l’adoption, il n’y a là aucun problème. Ce qui pose plutôt question, ce sont les familles où il n’y a aucun lien entre l’un des adultes et l’un des enfants. Dans ce cas, on peut se demander si c’est une famille. Ce que l’on appelle aujourd’hui les familles recomposées est vu par la société comme une famille alors qu’il n’y a aucun lien de droit entre l’un des adultes et l’un ou les enfants.

V. V. : Cette conception d’une société structurée autour de la cellule familiale provient d’un monde où la reproduction était au cœur du lien social.

C. S. : Le modèle familial est sûrement fondamental, puisque ceux qui n’y ont pas accès le désirent. Pour les familles qui ne le sont pas au sens juridique, c’est une vraie difficulté de ne pas en être une. La loi a ainsi créé un équivalent du mariage pour les pacsés, une sorte de quasi-mariage qui confère un certain nombre de droits et d’obligations, mais sans impact sur l’après-mort. Finalement, la seule différence majeure aujourd’hui reste l’absence de pension de réversion pour le partenaire survivant, et l’absence de droits de succession auxquels on peut remédier contractuellement par un legs qui est sans fiscalité. Et contre l’absence de pension de réversion, il y a l’assurance-vie. On a donc créé un équivalent du mariage avec le PACS, mais on n’a pas créé un équivalent de la filiation. On a le choix entre le PACS et le mariage, mais lorsqu’on ne peut pas avoir de lien de filiation vis-à-vis d’un enfant, il n’est pas possible de choisir autre chose. C’est l’éternelle question de la protection de ce lien avec le tiers. Il n’y a pas de volonté de créer un équivalent de la filiation aujourd’hui en droit français.

À suivre…