À l’occasion des 45es Journées de l’ECF, Audrey Cavernes s’entretient avec Nicole Borie, vice-présidente du Centre psychanalytique de consultations et traitement de Lyon.
Audrey Cavernes : Quelle pratique au CPCT Lyon ?
Nicole Borie : Le centre, ouvert depuis 2007, reçoit toute personne de plus de dix-huit ans en situation de précarité. Nous avons présenté le dispositif du CPCT, avant même son ouverture, aux travailleurs sociaux présents dans les Maisons du Département et accueillant les situations les plus précaires ainsi que les bénéficiaires du RSA. Actuellement, ce lien avec les travailleurs sociaux est toujours très important et particulièrement précieux pour faire circuler le terme de psychanalyse et parler de notre pratique dans des instances de la ville ou de la Métropole et jusqu’à l’ARS. Ils nous adressent des personnes très éloignées du soin, mais qu’ils connaissent souvent depuis des années. Nous recevons des sujets très isolés, désarrimés du travail, des liens sociaux, présentant fréquemment des ruptures familiales sévères avec leurs propres parents et leurs enfants. Nous n’avons pour seul principe que la personne qui souhaite être reçue en fasse la demande elle-même.
A. C. : Sous quels aspects se pose la question du couple pour les sujets qui s’adressent à vous ?
N. B. : Le couple fait symptôme. Il est souvent au cœur des premiers entretiens, soit par ses aspects passionnels, soit par sa singulière impossibilité. Autrement dit, il est omniprésent. Nous recevons des jeunes, qui ont depuis des années le même partenaire. Les dix-sept/vingt-trois ans, quand ils sont en couple, le sont depuis de nombreuses années. L’incertitude de l’avenir proche, le passage à la vie professionnelle, se font ensemble. Souvent dans ces couples, l’un travaille pendant que l’autre fait des études.
Nous recevons de nombreux « couples d’infortune », où les partenaires étayent plus ou moins leurs difficultés à vivre dans une relation chaotique. La recherche de l’ « affection » à donner ou à recevoir d’un autre reste en filigrane de ces demandes. On peut entendre la polysémie de ce terme : affecté par cette rencontre qui s’avère si souvent impossible, les patients déploient les multiples affections avec ce qui devient leur partenaire ravage.
Il existe aussi des couples qui ne cessent pas de se séparer, éternisant une plainte sur l’infortune d’un tel partenaire et sur l’impossibilité de faire sans cet autre.
A. C. : Quelles incidences la modernité produit-elle sur le couple conjugal ?
N. B. : La question du couple est une sorte de chambre d’écho des modes de jouir de celui qui parle. Il y a le couple et le partenariat avec l’objet de jouissance comme l’alcool, la drogue, les jeux vidéos, la pornographie. Certains jeunes adultes, homme ou femme, tentent de s’inscrire dans une tradition familiale en essayant de concilier les attentes parentales et les déceptions amoureuses. Ils se veulent libres de leur choix amoureux tout en étant respectueux de la tradition, en souhaitant faire famille. Alors, lorsque la rupture amoureuse dévoile l’échec de « faire couple », elle peut se présenter comme un symptôme.
La question de « se mettre en couple » ne se présente plus sous la forme de la permission ou de l’interdit. On voit mieux comment le souhait de trouver un partenaire pour faire couple est non seulement plus difficile, mais accentue l’impasse subjective devant l’impossibilité d’écrire le rapport sexuel.