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J50 - Attentat sexuel, Orientation

L’amour courtois, « une feinte »

© AKOM
10/09/2020
Claudine Valette-Damase

« L’amour courtois, c’est pour l’homme, dont la dame était entièrement,
au sens le plus servile, la sujette, la seule façon de se tirer avec élégance
de l’absence du rapport sexuel.1Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 65.»

Jacques Lacan choisit la référence de l’amour courtois à plusieurs reprises dans son enseignement et, de façon majeure, il la déploie dans Le Séminaire VII, L’Éthique de la psychanalyse puis, treize ans plus tard, dans Le Séminaire XX, Encore, où il la reprend pour lui faire rapidement un sort. Dans ces deux séminaires, il définira l’amour courtois comme sublimation puis comme feinte. Pousser par le réel de l’expérience analytique, Lacan s’appuie sur cette référence pour mener sa recherche sur la question de l’amour et du rapport entre les sexes.

L’amour courtois, la sublimation

Dans le Séminaire VII, Lacan définit l’amour courtois comme « un paradigme de la sublimation2Lacan., Le Séminaire, livre VII, L’Éthique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 153.», et il précise que bien que nous en n’ayons que des témoignages par l’art, « nous en sentons encore maintenant les retentissements éthiques3Ibid.».

L’amour courtois écrit et chanté par les troubadours est l’art d’aimer médiéval qui règle le rapport entre homme et femme. Ces chansons d’amour raffinées s’articulent autour de la promotion de la dame auquel l’homme se soumet par le service d’amour. La femme aimée est mise en position de domination par rapport à celui qui se languit d’elle – certains historiens ont interprété cette domination comme une libération de la femme. Cet érotique de l’amour courtois est une stratégie amoureuse de la retenue, marqué par le respect de la dame idéalisée comme objet féminin, interdite et inaccessible reposant sur une ascèse sexuelle faite d’obstacles inventés et consentis.

La feinte équivaut-elle à l’attentat sexuel ?

Dans le Séminaire Encore, Lacan définit l’amour courtois comme « une façon tout à fait raffinée de suppléer à l’absence de rapport sexuel, en feignant que c’est nous qui y mettons obstacle. C’est vraiment la chose la plus formidable qu’on ait jamais tentée. Mais comment en dénoncer la feinte ?4Lacan., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit.». Avec cette dernière phrase, il remet en question sa définition précédente.

En examinant ce discours par son envers, Lacan indique que « l’amour courtois, c’est pour l’homme, dont la dame était entièrement, au sens le plus servile, la sujette5Ibid.». Ainsi met-il le focus sur la dame qui, loin d’une quelconque libération de la femme, est réduite à être dominée par l’homme au service de la jouissance phallique laissant à croire qu’un jour peut-être, sûrement, l’amour réalisera l’union tant espérée d’un homme et d’une femme pour que ces deux puissent faire Un.

La fin’amor des poètes ne serait-il donc qu’une « feinte », un attentat sexuel, une impasse à vouloir faire exister le rapport harmonieux entre les sexes venant ainsi forclore le réel de : « La femme n’ex-siste pas6Lacan, Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 12 juin 1974, inédit.» et de « Il n’y pas de rapport sexuel7Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2006, p. 226.», que Lacan met en lumière dans le Séminaire Encore ?

Mais l’expérience analytique n’apprend-elle pas à chacun des protagonistes qu’il est seul avec sa jouissance, qui ne se partage pas ?


  • 1
    Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 65.
  • 2
    Lacan., Le Séminaire, livre VII, L’Éthique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 153.
  • 3
    Ibid.
  • 4
    Lacan., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit.
  • 5
    Ibid.
  • 6
    Lacan, Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 12 juin 1974, inédit.
  • 7
    Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2006, p. 226.