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J51 - La norme mâle, Orientation

La religion comme discours de domination

© D'après J. Fournier.
20/09/2021
Hélène Girard

« Le chef de tout homme est le Christ, le chef de toute femme, c’est l’homme.1Première épître de saint Paul, apôtre aux Corinthiens, chapitre 11-3.» La messe est dite. Si la religion est la croyance collective en un être surnaturel ou transcendant, censé dominer et protéger les hommes, elle peut aussi induire un ascendant de l’homme à l’égard de la femme. Tout est question de lecture évidemment. Pour autant, on peut avancer que la lecture des textes religieux peine à se renouveler. Cette fixité n’est pas sans lien avec la mainmise des hommes sur l’interprétation des textes, portés par des traditions patriarcales, chassant le féminin des lieux de culte et de lecture. Au-delà de cette répartition qui peut paraître scandaleuse, force est de constater que l’adhésion au discours religieux, côté homme et côté femme, n’a de cesse d’augmenter, comme le prophétisait Lacan. Ainsi, il ne suffit pas de dire que le discours religieux produit un effet de domination, plus encore, interrogeons-nous sur ce qui pousse un homme ou une femme à s’y aliéner, à s’y faire docile, ou bien pour le dire autrement, que vient recouvrir l’obéissance à une parole divine ?

Freud, en son temps, a mis en lumière la fonction consolatrice de la religion qui permet aux hommes de « supporter la vie2Freud S., L’avenir d’une illusion, Paris, Points, 2011, p. 86.». Face au désarroi et pour calmer l’angoisse, le désir de protection qui fait passer la protection par l’amour du père à celle « d’un Père mais désormais plus puissant3Ibid., p. 78.». Freud admet que l’homme sans religion « se trouvera alors dans une situation difficile, [car] il sera forcé de s’avouer l’ampleur de son désarroi4Ibid., p. 106.», mais il parie sur l’homme qui aura appris « qu’on ne doit compter que sur sa propre force5Ibid., p. 107.», plutôt que de s’en remettre à Dieu. Freud ne se faisait pas d’illusion sur la religion, il était convaincu qu’elle se réduirait à mesure que la science progresserait, convaincu que l’homme serait capable « de se confronter à ce qui lui manque […] pour accéder à une liberté responsable, celle de l’être humain doué de logos6Leguil C., « Désir et désarroi, la religion au miroir de la psychanalyse », in Freud S., L’avenir d’une illusion, op. cit., p. 31.». L’actualité nous prouve le contraire, et c’est grâce à la lecture renouvelée de Lacan qu’on en saisit le ressort. Tout tient dans cette formule : « pour le parlêtre, la sexualité est sans espoir7Lacan J., Le triomphe de la religion, Paris, Seuil, 2005, p. 94.», c’est-à-dire que l’homme est condamné à rester sans réponse face au rapport au sexe. Ainsi « pour Lacan, Dieu n’est pas le nom de l’interdit (comme pour Freud), Dieu surgit du non-rapport sexuel8Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Un effort de poésie », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours des 14 et 21 mai 2003, inédit.». L’homme confronté à l’ignorance, au trou dans le savoir, découvrant qu’il n’y a ni mode d’emploi, ni réponse universelle à la rencontre avec l’autre, peut trouver recours dans le religieux. Véritable machine à donner du sens, « le religieux exploite aujourd’hui tout ce qui se place au-delà des limites de ce qui ne peut se démontrer […] Le religieux, c’est le sens que l’on se propose de donner à la faille du savoir9Ibid.». La quête de sens fait le lit du religieux et instaure d’une certaine façon un répartitoire, non plus entre homme et femme, mais entre ceux qui s’attachent au sens, comme à une vérité inscrite dans le marbre, et ceux qui se risquent à « avoir le courage de ne pas céder aux revendications de la masse pour défendre la revendication secrète d’un désir qui est le socle fragile et subtil de l’être10Leguil C., « Du mal au malheur, la civilisation et ses impasses », in Freud S., Malaise dans la civilisation, Paris, Points, 2010, p. 40.».

Face à l’angoisse, inhérente au désarroi existentiel, l’homme peut décider de se ranger sous le discours religieux, venant faire bouchon au doute, ou s’en extraire, en prenant appui sur son désir comme boussole.

 


  • 1
    Première épître de saint Paul, apôtre aux Corinthiens, chapitre 11-3.
  • 2
    Freud S., L’avenir d’une illusion, Paris, Points, 2011, p. 86.
  • 3
    Ibid., p. 78.
  • 4
    Ibid., p. 106.
  • 5
    Ibid., p. 107.
  • 6
    Leguil C., « Désir et désarroi, la religion au miroir de la psychanalyse », in Freud S., L’avenir d’une illusion, op. cit., p. 31.
  • 7
    Lacan J., Le triomphe de la religion, Paris, Seuil, 2005, p. 94.
  • 8
    Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Un effort de poésie », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours des 14 et 21 mai 2003, inédit.
  • 9
    Ibid.
  • 10
    Leguil C., « Du mal au malheur, la civilisation et ses impasses », in Freud S., Malaise dans la civilisation, Paris, Points, 2010, p. 40.