La relation entre Mélanie Klein et sa fille Melitta Schmideberg fut aussi complexe que déconcertante.
À lire Phyllis Grosskurth, mère et fille étaient très proches. Mais il n’est pas impossible que, depuis son enfance, Melitta ait pu s’interroger sur la nature des sentiments qui animaient sa mère, surtout au regard de ses nombreuses absences vivement encouragées par la propre mère de Mélanie Klein, Libussa. Cette dernière avait une forte propension à diriger la vie de sa fille. Elle savait mieux que personne ce qui convenait à Mélanie pour soigner le malheur subjectif qui la frappait : un calme absolu, des voyages reposants et de longues cures dans des villes d’eaux. Pendant ce temps, c’était donc la grand-mère qui s’occupait de la petite Melitta. Libussa ne manquait pas de lui rappeler que sa mère était « une infirme émotionnelle, si malade qu’elle devait constamment déserter sa fille1Grosskurth P., Mélanie Klein. Son monde et son œuvre, Paris, PUF, 2001, p. 77.». Ceci n’a cependant pas empêché que la relation entre Mélanie et Melitta aille pour le mieux jusqu’aux années trente.
Élevée à l’ombre de la psychanalyse, Melitta s’orienta vers des études de médecine pour devenir analyste à son tour. En 1927, elle obtint son diplôme et s’en alla rédiger sa thèse à Londres où sa mère s’était déjà établie avec l’aide d’Ernest Jones. Encouragée par sa mère, Melitta quitta ainsi Berlin en 1930 pour venir s’installer en Angleterre. Munie d’un passeport suédois, elle n’eut aucune difficulté à entrer au Royaume-Uni, mais il en alla tout autrement pour son mari, Walter Schmideberg, qui ne fut autorisé à y entrer qu’en 19322Ibid., p. 242.. À l’arrivée de son époux, Melitta quitta la maison de sa mère pour emménager dans son propre foyer.
Estimant qu’elle était restée durant tous ces années dans un état de « dépendance névrotique3Ibid., p. 262.» vis-à-vis de sa mère, Melitta décida de se frayer son propre chemin en se déprenant de l’influence maternelle. Déterminée à résoudre la question de la difficulté de la séparation d’avec sa mère, elle quitta son analyste Ella Sharp et s’adressa à Edward Glover.
Ce choix ne fut pas indifférent. Melitta n’était pas sans ignorer les divergences doctrinales entre sa mère et Glover. Après avoir été un partisan de son orientation, Glover se montra très critique des positions théoriques de Mélanie au début des années trente. En fait, Glover considérait Klein comme une dissidente, il l’accusait de rompre avec la pensée de Freud. Au cours des controverses Anna Freud-Mélanie Klein, l’affrontement des deux groupes s’ordonnait essentiellement autour des questions de la formation des psychanalystes et de la technique analytique utilisée dans la pratique avec les enfants4Les Controverses Anna Freud-Mélanie Klein 1941-1945, édité par Pearl King et Riccardo Steiner, Paris, PUF, 1996.. Les choses ne tardèrent pas à se gâter. Glover et son analysante firent rapidement front commun contre la pionnière de la psychanalyse des enfants. Les réunions de la Société britannique de psychanalyse devinrent le terrain d’une bataille sans merci. La virulence du règlement de comptes personnels sur fond de débats théoriques et d’enjeux politiques était perceptible.
Toujours soutenue par son analyste, Melitta tint publiquement des propos incendiaires sur sa mère, s’opposant à elle point par point. Elle dénonça l’effacement de la fonction paternelle dans les travaux de celle-ci, cette mise hors circuit du père ayant été attisée par son transfert à Glover.
Au cours d’une réunion scientifique de la société britannique, la rage de Melitta lui fit hurler à la face de sa mère : « Où est le père dans ton œuvre ?5Grosskurth P., Mélanie Klein. Son monde et son œuvre, op. cit., p. 282.»