Étudier Se former > Les blogs des Journées de l'ECF > J44
J44 - Être mère, Une lecture du discours courant

La fête des mères

© J. Fournier. Photo P. Metz.
15/10/2014
Michèle Astier

Sa date est fixée officiellement en France par la loi du 24 mai 1950 : « le ministre de la santé publique et de la population est chargé, avec le concours de l’union nationale des associations familiales, de l’organisation de cette fête1Loi du 24 mai 1950 relative à la Fête des mères, Journal officiel de la République française du 25 mai 1950.». La fête des mères que nous connaissons consiste pour les enfants à offrir un dessin ou un poème à leur maman, des fleurs ou un cadeau plus consistant pour les aînés. D’aucuns y voient un vestige d’hommage aux déesses de l’Antiquité, d’autres une pure entreprise commerciale, et d’autres encore tiennent au sens religieux de cette date de mai, mois dédié à la Vierge Marie. À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, elle avait d’autres résonances : c’est par son discours du 25 mai 1941 que le Maréchal Pétain instituait une « journée des mères », couronnement d’une politique de la famille, base de l’État français.

L’ouvrage de Francine Muel-Dreyfus, directrice de recherche à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Vichy et l’éternel féminin, est riche d’enseignement à ce propos. Elle fait une analyse fine et richement documentée des racines intellectuelles, idéologiques, politiques et religieuses de la construction d’un « éternel féminin » par le régime de Vichy pour une nouvelle moralité publique avec son slogan « Travail, Famille, Patrie ». Cette construction unique en Europe2Muel-Dreyfus F., Vichy et l’éternel féminin, Paris, Seuil, 1996, p. 9. servait de fondement à la révolution nationale conçue à rebours de la république des droits de l’homme.

C’est alors une véritable ségrégation des femmes qui fut organisée à partir d’octobre 1940 avec une série de lois dont la création d’une « journée des mères »  fut le couronnement. Aux côtés d’autres « inassimilables », les femmes, avec leurs indéfrisables et autres frivolités, étaient déclarées responsables du déplorable « climat moral de la France » conduisant à la défaite3Ibid.,p. 93.. Salariées, elles devenaient délinquantes par « l’acte du 11 octobre 1940, dit relatif au travail féminin [interdisant] l’embauche des femmes mariées dans la fonction publique et parapublique4Ibid., p. 123 & sq.», courant le risque de sanctions pénales. En conséquence, études et diplômes dispensés par l’école de la république étaient remplacés pour les filles par des cours d’arts ménagers et culinaires, puériculture, hygiène5Cf. ibid., p. 183.. Les femmes rendues à leurs foyers et privées d’instruction devenaient éducatrices de leurs enfants, tout spécialement des filles qu’elles devaient préparer à leur futur « métier de mère ».

« Si la fête des mères n’est pas une invention de Vichy, écrit Francine Muel-Dreyfus, c’est cependant sous l’État français qu’elle va acquérir sa pleine charge symbolique devenant définitivement une fête nationale sous la dénomination de “journée des mères”, le terme “fête” étant jugé malsonnant dans la situation de défaite que connaît le pays ». En effet, l’idée datait de la fin de la première guerre mondiale mais n’avait pas remporté grand suffrage. Qu’est-ce qui a changé en 1940 ? C’est ce que cette étude vient éclairer autour de cette célébration imposée, qui est aussi une « célébration de la France ». C’est une « journée de mobilisation organisée dont la préparation, qui n’est pas laissée au hasard, est l’occasion de rappeler à tous les principes généraux de la philosophie sociale du régime6Ibid., p. 135 & sq.».

Cette journée devenue fête a fort heureusement perdu ce qui porte à réduire le féminin à la maternité en faisant des femmes des toutes-mères. Pour autant, cette histoire n’est pas si éloignée de nous : c’est celle de nos mères et de nos grand-mères. Elles en témoignaient à l’occasion… de la fête des mères.

 


  • 1
    Loi du 24 mai 1950 relative à la Fête des mères, Journal officiel de la République française du 25 mai 1950.
  • 2
    Muel-Dreyfus F., Vichy et l’éternel féminin, Paris, Seuil, 1996, p. 9.
  • 3
    Ibid.,p. 93.
  • 4
    Ibid., p. 123 & sq.
  • 5
    Cf. ibid., p. 183.
  • 6
    Ibid., p. 135 & sq.