J’ai revu récemment, pour inspirer ce petit texte, le film de Daniel Duval, La dérobade (1979). Une jeune femme échappe à sa petite vie de vendeuse de chaussures de banlieue populaire sans avenir en devenant prostituée pour le compte d’un proxénète dont elle est tombée amoureuse. Elle se croit enfin libre. Mais l’homme s’avère violent, tout comme le milieu de la prostitution. Tout est organisé pour asservir les femmes à satisfaire le désir des hommes. Elle tente d’y échapper par tous les moyens : être à son compte, choisir ses clients, refuser certaines pratiques. Malgré les coups qui pleuvent, et un corps maltraité, elle résiste… jusqu’à déclarer, lorsqu’elle abandonne la prostitution, n’avoir jamais eu de mac.
À quoi se dérobe ce sujet ? À toute assignation de l’Autre. Elle peut se faire objet pour la jouissance de l’autre moyennant de l’argent, elle refuse de s’identifier à cet objet pour l’Autre de l’amour.
Il est amusant de constater que le nom de dérobade se conjugue en verbe sous la modalité réflexive. La dérobade renvoie à se dérober (et non à dérober). Dans la dérobade, c’est le sujet qui se soustrait, s’échappe. C’est lui-même qu’il retire de la scène, qui s’absente du champ de l’Autre. Il esquive la rencontre avec l’Autre. Si j’écris Autre avec un grand A c’est que dans la dérobade, même si le sujet se dérobe à un petit autre, c’est toujours dans sa relation au grand Autre, sous-tendue par le fantasme. Le sujet se dérobe à ce qu’il croit être comme objet pour l’Autre. Il se dérobe au désir ou à la demande d’un autre, se croyant assigné à une position d’objet qui correspond finalement à celle de son fantasme dans sa relation à son Autre.
La dérobade est donc une stratégie, inconsciente la plupart du temps, visant d’un côté à échapper au désir de l’Autre mais de l’autre en le maintenant par un manque.
Elle devient alors une fonction majeure dans la séduction : susciter le désir et le maintenir en haleine par une dérobade. Et cela des deux côtés. C’est donc aussi une manière pour le sujet d’entretenir son propre désir.
L’être sexué n’a pas son complément parce que le langage ne vient pas recouvrir ce qu’il dénomme, la femme ne peut se signifier, il reste un vide. La dérobade se révèle être une défense contre ce vide qui témoigne de l’inexistence du rapport sexuel. Se dérober, c’est continuer à le faire exister en le refusant.