Étudier Se former > Les blogs des Journées de l'ECF > J51
J51 - La norme mâle, Sublimations

« Je ne suis qu’un homme »

© D'après J. Fournier.
01/11/2021
Valérie Péra Guillot

« Je ne suis qu’un homme » : ce titre est l’un des derniers enregistrés par Johnny Hallyday peu avant sa mort. Mais quel était cet homme pour lequel ce n’était pas le Nom-du-Père qui était aux commandes mais « la jouissance qui déborde toute norme », ce qu’il désignait comme sa vie de « destrolaine1Hallyday J., Johnny Hallyday, autobiographie, Destroy 2000, Paris, Michel Lafon, 1999.».

L’enfant Jean-Philippe Smet, « sans papa, sans héros, sans homme “à la maison” », construit très tôt une fiction qui recouvre « sa déchirure », place d’enfant abandonné par le père qui le renvoie au signifiant « bâtard ».

En 1949, dans un hôtel vétuste de Londres où il séjourne avec sa tante et ses cousines, l’enfant de six ans est fasciné par un pensionnaire, Lee Lemoine Ketchman, jeune Américain de vingt‑deux ans aux allures de cow-boy, qui joue ce rôle dans une comédie musicale. Lee deviendra rapidement une figure essentielle dans la vie de Jean-Philippe Smet.

Pour son premier album, le jeune homme de seize ans emprunte à Lee ses costumes de scène mais il prend aussi son nom de scène – Halliday. Lee lui souffle le prénom Johnny, en référence au film Johnny Guitare ; Jean-Philippe Smet devient Johnny Hallyday. Il endosse cette nouvelle identité qui résonne avec le mythe2Rondeau D., « Les confessions de Johnny Hallyday », Le Monde, 7 janvier 1998. américain qu’il se construit. Suite à son premier succès, il s’invente un CV. Il raconte aux journalistes qu’il a passé son enfance dans l’Oklahoma, dans le ranch de son père, cow-boy. « Tout ressortait : le manque du père et de racines, le besoin d’avoir une famille, du solide.3Hallyday J., Johnny Hallyday, autobiographie, op. cit. p. 119. » Cette fiction des origines, son mythe individuel, lui permet de s’identifier à Lee, le cow-boy, l’Américain, le héros mais aussi l’homme de spectacle – un Autre en position d’Idéal du moi. Ce mythe, son mythe, « hors des fictions de la Mondanité », fait « fixion autre du réel4Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 479. », soit d’un impossible à dire, celui de ses origines.

Toute sa vie, Johnny Hallyday a cherché à se maintenir à la hauteur de Johnny Hallyday pour tenir à distance le nom de « bâtard » auquel le renvoie Smet, le nom du père, un père qui lui fait honte. Bâtard, l’insulte est son nom5Miller J.-A., « Lacan avec Joyce », La Cause freudienne, no 38, février 1998, p. 13.. Elle ne cesse de le ramener à l’abandon : « Je n’ai jamais pu échapper à ce père parti vagabonder quand j’avais huit mois.6Rondeau D., « Les confessions de Johnny Hallyday », op. cit.»

Les drogues, l’alcool, la tentative de suicide, les accidents, les femmes de passage, tout ce qu’il nomme sa destroyance est une fuite devant l’angoisse de la nuit, la solitude radicale. Celui qu’il nomme « Mon public » lui a permis d’affronter cette solitude. Cet Autre lui renouvelle sa confiance à chaque concert, il doit tout et donne tout à son public. Mais si chaque concert est une rencontre, elle ne dure que le temps de quelques chansons, instant où le bonheur s’écrit. Et à nouveau la contingence de cette rencontre s’efface devant le « ne cesse pas de ne pas s’écrire » de l’impossible.

Alors le remède, Johnny Hallyday le trouve dans le « ne cesse pas de s’écrire » du blues qu’il adresse à son public. Ce blues aura été sa ligne de vie.

C’est un chanteur abandonné
Qui a vécu sans se retourner
Sûr que le blues est inventé
Pour lui, cette nuit

Parce qu’il a su s’abandonner
À ceux qui ont voulu l’aimer
Il a donné ce qu’il avait

Mais lui, il se demande qui il est
Abandonné, oui, abandonné

 

Ce texte est issu du texte du même auteur : « Du Nom-du-Père à la nomination. Jean-Philippe Smet, dit Johnny Hallyday », Letterina, Bulletin de l’ACF en Normandie, automne 2019, no 74.


  • 1
    Hallyday J., Johnny Hallyday, autobiographie, Destroy 2000, Paris, Michel Lafon, 1999.
  • 2
    Rondeau D., « Les confessions de Johnny Hallyday », Le Monde, 7 janvier 1998.
  • 3
    Hallyday J., Johnny Hallyday, autobiographie, op. cit. p. 119.
  • 4
    Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 479.
  • 5
    Miller J.-A., « Lacan avec Joyce », La Cause freudienne, no 38, février 1998, p. 13.
  • 6
    Rondeau D., « Les confessions de Johnny Hallyday », op. cit.