En 2010, Élisabeth Badinter publie Le conflit, la femme et la mère1Badinter É., Le conflit, la femme et la mère, Paris, Flammarion, 2010. Toutes les citations sont de ce livre., livre qui a remué l’opinion publique et relancé la question de la « maternité au cœur du destin féminin ».
La fin des années 1970 ouvre la voie de la « conquête de leurs droits essentiels, la liberté et l’égalité, que [les femmes] pensent pouvoir concilier avec la maternité ». Mais entrent alors en contradiction l’accroissement des devoirs envers l’enfant et la quête d’un épanouissement personnel. La crise économique renvoya les femmes au foyer, du côté de la maternité, une valeur plus sûre.
Depuis l’utilisation massive des contraceptifs, le désir d’enfant n’apparaît plus comme étant naturel, mais il répond à un choix. La maternité « tient du pari », elle n’est « plus le seul mode d’affirmation de soi de la femme » et entre donc en conflit avec d’autres impératifs. Au « je lui dois tout » maternel succède le « je veux tout » féminin.
Comme Lacan nous l’enseigne, il y a une antinomie inconsciente entre la femme et la mère, l’une relevant d’un avoir phallique tandis que l’autre s’inscrit en défaut par rapport au phallus. Jacques-Alain Miller, dans son cours « Donc2Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Donc », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, leçon du 6 avril 1994, inédit.», pose la question de savoir si, « pour être femme, il faut refuser d’être mère », indiquant que le refus de la maternité fait entrer dans le registre de la « contradiction du désir » : c’est « refuser d’être l’Autre de la demande, pour être l’Autre du désir ».
Cette antinomie est d’autant plus accentuée par le retour en force, encore actuel, de « Mère Nature » et du naturalisme. É. Badinter note que ce retour « fait l’éloge du masochisme et du sacrifice féminin, et constitue le pire danger pour l’émancipation des femmes ».
Questionner le statut de la mère soulève le débat de ce qu’est l’objet enfant dans la société. Considérer le bébé comme une « personne » à part entière, dit É. Badinter, implique que les mères doivent apprendre à communiquer avec leur petit et que le bébé va choisir les moments de ses avancées éducatives. L’auteur fait une large place dans son livre au débat sur l’allaitement, aux valeurs et discours véhiculées autour de ce procédé et à leurs conséquences sociétales : la bonne mère est celle qui allaite, « l’allaitement est à la demande et aussi longtemps que [l’enfant] le désire. […] La mère qui allaite éprouve du plaisir, mais elle n’est pas nécessairement objet de désir pour le père qui la regarde. »
Selon É. Badinter, choisir d’avoir un enfant de nos jours n’est pas un problème de norme ou de déviance. Cela soulève plutôt des questions, par exemple, sur « la responsabilité maternelle » ou « le coût conjugal », parce que, dit l’auteure, la maternité « n’est plus qu’un aspect important de l’identité féminine et non plus le facteur nécessaire à l’acquisition du sentiment de plénitude de soi féminin ».
En effet, comme le souligne J.-A. Miller, « le désir d’être mère chez le sujet féminin […] est en prise directe avec la castration […] la mère est une et toute » contrairement à la femme, qui n’est pas-toute3Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975. soumise à la castration.
É. Badinter soutient la thèse que la mère ne doit pas tout à l’enfant, laissant ainsi ouvert le possible féminin : les femmes françaises sauront-elles « imposer leurs désirs et leur volonté contre le discours rampant de la culpabilité ? »