Étudier Se former > Les blogs des Journées de l'ECF > J48
J48 - Gai, gai, marions-nous !, Orientation

Indémodable conjugo

Une corde sensible

© J. Fournier.
08/05/2018
Dalila Arpin

Psychanalyste membre de l’École de la Cause freudienne, Dalila Arpin est l’auteure de Couples célèbres. Liaisons inconscientes, paru en 2016 chez Navarin éditeur1Arpin D., Couples célèbres. Liaisons inconscientes, Paris, Navarin/Le Champ freudien, 2016.. Entretien, à l’occasion des 48es Journées de l’ECF.

J48 : Nombreux sont ceux qui s’intéressent aux secrets des mariages heureux, des études y sont même consacrées. Selon vous, qu’est-ce qui permet au bonheur, dans le mariage, de durer toujours ?

Dalila Arpin : Notre pratique nous a habitués à ne jamais dire « toujours ». Mais la gaité peut être de la partie. La principale difficulté du mariage, et qui le distingue du couple qui n’habite pas ensemble, est l’érosion de l’amour par le quotidien. C’est, en même temps, le dernier bastion : les mariés peuvent ne plus avoir des rapports sexuels, se tromper en le sachant, ou être complètement indifférents, mais si la cohabitation est impossible, le lien se défait. Si la flamme de la rencontre d’un être unique qui a touché une corde sensible en nous reste allumée, alors la joie est présente !

J48 : La conjonction de l’amour et du sexe dans le mariage, c’est quand même possible ?

D. A. : Oui, et quand c’est le cas, c’est le bonheur, même si la psychanalyse nous apprend à distinguer amour et désir. Mais ce bon-heur n’est pas toujours au rendez-vous. Ainsi, des arrangements sont possibles dans les couples mariés qui peuvent faire tenir une relation qui n’est pas fondée sur le sexe. Le cas de Sartre et Simone de Beauvoir est bien connu. Dans Couples célèbres, j’ai écrit que Salvador Dali épouse La femme, la seule, l’unique, mais qu’il ne la désire pas. La sexualité est pour lui un plaisir solitaire, lorsqu’il ne s’adonne pas à la contemplation de beaux corps jeunes qui défilent dans sa piscine. Gala, en revanche, était très portée sur la question et trouve son équilibre dans des relations extra-conjugales, multipliant les amants et n’hésitant pas à faire des avances au fils de Max Ernst, de vingt ans son cadet. Elle finira ses jours au château de Pubol avec un chanteur de rock. Il n’en reste pas moins que l’union avec Dali fut solide et pérenne, au bénéfice de tous les deux.

J48 : Dans Couples célèbres, vous évoquez plusieurs unions. Que la vie conjugale fasse symptôme, est-ce qui permet à certains de ces mariages de fonctionner ?

D. A. : Il est très intéressant, en effet, de cerner le statut de la vie conjugale. Pour certains, cela peut être gage de légitimité, d’inscription sociale, d’appartenance à une famille, voire de pureté. Il faut voir le processus de transformation effectué, par exemple, par Eva Duarte pour devenir l’épouse légitime de Juan Domingo Péron : changement de la couleur des cheveux (blond, donc plus proche des représentations de la Vierge, figure maternelle par excellence dans un pays catholique), inversion de l’ordre des prénoms (Maria Eva au lieu de Eva Maria, comme les filles de bonne famille), falsification de l’acte de naissance (pour effacer son statut d’enfant illégitime). Le symbolique du mariage venait justement légitimer une union qui était déjà soudée par une cause commune. James et Nora Joyce se marient sur le tard, mais leur union est nouée d’une corde invisible qui ne se défait même pas après la mort de l’écrivain. La présence de Nora lui est indispensable pour écrire, faisant de la vie conjugale un symptôme aussi important que son rapport à la langue. Elle – qu’on avait surnommée Man Killer, car ses deux partenaires précédents étaient décédés – trouve en lui un homme qui ne meurt pas d’amour pour elle. Même un révolutionnaire comme le Che a tenu à se marier… deux fois et non pas une ! Cela parle suffisamment du caractère indémodable du conjugo.


  • 1
    Arpin D., Couples célèbres. Liaisons inconscientes, Paris, Navarin/Le Champ freudien, 2016.