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J47 - Apprendre : désir ou dressage, Sublimations

« Il faut l’envoyer à l’école »

© J. Fournier.
10/10/2017
Rose-Paule Vinciguerra

Voilà ce que répète Marivaux, dans le divertissement qui sert d’épilogue à L’école des mères. C’est de la mère d’Angélique qu’il est question, mère qui a tenu sa fille dans une ignorance et une obéissance sans bornes, sans réussir à dompter son désir d’autre chose. Mais ce « il faut l’envoyer à l’école » martelé s’adresse aussi à tout homme « butor », « sot », « benêt », « nigaud », « imprudent », « ignorant » qui ne sait pas comment l’on s’y prend avec une femme. Mais quelle école pourrait enseigner cela ? Et d’ailleurs, dans quelle école une femme pourrait-elle apprendre quoi que ce soit sur elle-même ?

C’est en jouant que cela s’apprend, osait La Fontaine dans le conte Comment l’esprit vient aux filles, en répétant malicieusement : « Or, devinez comment ce jeu s’appelle. » En effet, « Avant que Lise allât en cette école, Lise n’était qu’un misérable oison […] Cent fois le jour sa mère lui disait : Va-t’en chercher de l’esprit, malheureuse ». Lise chercha jusqu’à aller au couvent trouver remède auprès du père Bonaventure. Ce que le bon père lui apprit ne s’enseigne pas dans les livres. Mais voilà, Lise sut n’en dire mot et apprit à mentir. Elle avait trouvé l’esprit.

N’y aurait-il-il donc que cette voie, celle que le phallus fait miroiter de mille feux pour apprendre à être une femme ?

Oui et non, répond magistralement Molière dans L’École des femmes. Arnolphe, alias M. de la Souche, avait laissé l’innocente Agnès dans une ignorance dogmatique en la dressant à ne rien apprendre. Un dressage au rien, est-ce possible ? Arnolphe crut en « sa méthode » pour rendre Agnès « idiote autant qu’il se pourrait ». Las, ce fut l’amour qui servit ici de maître et la réveilla de ce sommeil. Et notamment, une parole d’amour, celle d’Horace. De cette parole, dit Agnès, « la douceur me chatouille et là-dedans remue. Certain je ne sais quoi dont je suis toute émue ». Arnolphe a alors beau jeu de lui ordonner d’apprendre par cœur des maximes de bienséance féminine. Rien n’y fait. Un lumignon a éveillé le manque en son esprit. Cet esprit dont Arnolphe avait voulu « étouffer la clarté », « l’amour a commencé d’en déchirer le voile ». Et le corps ? Arnolphe ne s’y trompe pas, qui traite Agnès de « traîtresse », de « diablesse » avec – et c’est lui qui le nomme – « cet amoureux désir ». Mais, avoue Agnès, « c’est de lui que je sais ce que je puis savoir ». Nul dressage ne vaut quand un dire amoureux sait animer le mystère du phallus. « Éros invincible au combat » !

Quoi ? Le dressage est-il exclu de l’éducation des filles ? Les femmes seraient-elles les tenantes d’un savoir dont elles ne peuvent s’entretenir, mais qu’il ne s’agit que d’éveiller avec souplesse ? C’est compter sans la furie féminine, ce « transport d’emportement diabolique » dont Shakespeare fait de Catherina, dans La mégère apprivoisée, le fleuron satanique ! Jolie fille avec des manières de soudard mais non dépourvue d’esprit, elle est indomptable – le titre anglais, The Taming of the Shrew, signifie Comment dompter l’insoumise. Comment va faire Petruchio qui veut l’épouser ?

Sa façon de lui faire la cour, lors de leur première rencontre, sort du commun.

Petruchio — Allons, allons ; guêpe : oh ! Par ma foi, vous êtes trop colère.
Catherina — Si je tiens de la guêpe, défiez-vous donc de mon aiguillon.
P. — J’y sais un remède : c’est de l’arracher.
C. — Oui, si le sot peut trouver la place où il est.
P. — Qui ne sait où la guêpe a son aiguillon ? Au bout de sa queue.
C. — Au bout de sa langue.
P. — La langue de qui ?
C. — La vôtre, si vous parlez de queues ; et là-dessus, adieu.
P. — Quoi ! ma langue à votre queue ? Allons, revenez, bonne Cateau, je suis gentilhomme.
C. — C’est ce que je vais voir. (Elle lui donne un soufflet.)

Une fois les noces conclues sans tambour ni trompette, Petruchio va s’employer à dompter cet animal « sauvage ». Comment ? En la frustrant d’à peu près tout ce qu’elle désire : sommeil, mets succulents, habits somptueux. Bref, serait-il « catherinisé », comme le craint le valet Grumio ? L’art de Petruchio pourtant réussit ; il réussit à lui arracher le dard planté dans la langue ou dans la queue, on ne sait. C’est qu’il lui a appris à respecter la langue ; et c’est avec lui que Catherina rencontre l’amour que son père n’avait pas su lui donner.

Recevoir le don du phallus ou se le voir arracher ! Pour mieux parler ! Les grands écrivains savent comment « envoyer les filles à l’école ». Et y envoyer aussi les garçons !