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J49 - Femmes en psychanalyse, Orientation

Femme objet

© Lily - Patty Carroll
20/05/2019
Marie Laurent

Ici, les féministes bondiront et taperont du pied !* La lutte contre la réduction de la femme à l’état d’objet est bien le cœur de leur combat depuis plus d’un siècle. Metoo n’est pas en reste. Nul miroitement de l’être apparent, n’est-ce pas, sous le titre provoquant de cette rubrique ! De quoi parle-t-on, si ce n’est des femmes conçues dans leur valeur d’échange et consommées toutes crues, des femmes qu’on ravale à une fonction d’objets sexuels ou d’appâts publicitaires, des femmes jouets dont « on » s’approprie le corps, ou la matrice à l’occasion… Sont-elles seulement à ranger du côté de ces objets à l’obsolescence programmée, qui finissent par tomber à plat mais qui, le temps de la rose attirent la libido masculine ?

Un constat pourtant s’impose : une femme peut souhaiter elle-même revêtir jusqu’à l’hyperbole les attributs de la séduction et faire l’idiote parfois, si elle juge que cela vaut mieux ! Et, se proposant comme objet de désir, que fait-elle si ce n’est se présenter comme signe… de la toute-puissance masculine. On iconise des femmes qui jouent de ce registre, et pas seulement des actrices ou des chanteuses. De plus en plus de blogueuses sont devenues célèbres en postant des vidéos sur Youtube pour présenter leurs nouveaux achats, leurs trucs beauté, leur shooting mode. Leur production, supposée transmettre un savoir-faire sur l’idéal de la beauté féminine, passionne des millions de femmes. Tandis que certaines petites filles qui ont toujours emprunté les objets de leur mère, se jettent sur leurs hauts talons et réclament leur propre perfecto en cuir ou leur mascara de couleur tendance. On s’alarme partout de leur hyper sexualisation qui les porte à devenir des proies sexuelles, sans avoir les moyens de se défendre.

Nul besoin d’une puissance extérieure pour emprisonner les femmes dans ce rôle de femme objet. S’agit-il en effet simplement de les libérer du pouvoir machiste des hommes ? S’agit-il seulement de les affranchir d’un discours qui les contraindrait sans qu’elles ne le sachent, en faveur d’un autre, plus farouche qui affirmerait leur indépendance d’être sexué ? S’agit-il encore de viser le desserrage d’un carcan culturel qui ne fait que moduler les normes admissibles de la féminité, au profit d’un nouveau paradigme tout aussi prescriptif, mais à l’envers du précédent ?

Du côté de la psychanalyse, il ne s’agit nullement de cela. D’abord, on naît objet, quel que soit son sexe biologique. Le nouveau-né est dans la plus stricte dépendance d’un Autre primordial qui prend, la plupart du temps, la figure de la mère et incarne son bien le plus précieux. Cette détresse originaire le rive à autrui pour toujours, et la manière dont une mère va supporter de ne pas répondre totalement à la demande de son enfant, ni qu’il ne réponde à la sienne va conditionner la suite de son rapport à l’Autre.

Tout tourne, pour chaque être parlant, dès le début, autour du manque et de la manière dont il le supporte.

Lacan a pu situer ce manque en montrant qu’il n’y a de relation d’objet pour les êtres parlants qu’à ce manque précisément. Parce qu’ils ont un rapport au désir qui passe par le biais du langage, et qu’ils ne rencontrent dans l’inconscient qu’un seul signifiant du désir et de la jouissance pour les deux sexes, la formule du rapport entre les hommes et les femmes n’est pas écrite d’avance. Ce n’est confortable ni pour l’un, ni pour l’autre, d’autant que la véritable nature du phallus se révèle être le phallus maternel, qu’il n’y a pas. Pour une petite fille, la relation à sa mère se redouble de l’impossibilité de la transmission de « la substance féminine ». La mascarade qui s’agite chez une femme n’est pas une robe qu’il faudrait ôter pour découvrir l’être féminin, c’est un nom de l’essence féminine qu’il n’y a pas. Pour les êtres parlants en effet, il n’y a pas de signifiant pour dire spécifiquement la jouissance féminine. Pour y remédier, l’être sexué fait circuler des objets, mais aucun jamais ne sera adéquat à le satisfaire.

Ainsi vont des femmes pour certains hommes, ou des hommes pour certaines femmes, toutes les combinaisons sont possibles ! Ainsi vont aussi de ces objets propres aux femmes objets d’ailleurs !

Ces objets que l’on désire – l’un, puis l’autre car ce n’est jamais le bon une fois qu’on l’a obtenu – n’ont rien à voir avec ceux que Lacan a élevés à la dignité de Cause. Ceux-là orientent de manière souterraine la boussole du désir et, comme le vent dans les voiles, impulsent le mouvement. Ils sont dans un rapport d’extimité avec le corps, intimes et extérieurs à la fois, supportés par le corps de l’autre ou, au contraire, chevillés au corps dans la psychose. Or ces objets ne disent jamais rien du sexe de celui qui les porte. Du point de vue du discours analytique, l’être parlant devra en passer par le langage pour avoir accès à la sexualité. Il devra ainsi formuler son besoin et, en chemin, il aura affaire à ce qui échappe, c’est-à-dire à son désir. Et quand dans la névrose, il n’aura affaire qu’au phallus dans l’inconscient, il devra se débrouiller entre l’être et l’avoir pour situer son être sexué. Sinon, il sera plus inventif s’il le peut et trouvera un équivalent.

Le syntagme de femme objet apparaît dans cette circulation où le manque est en jeu : celui du signifiant qu’il n’y a pas pour dire la féminité et celui de l’objet qu’il faudrait pour combler le manque. Une femme peut consentir à se faire semblant d’objet pour un homme, ou pour plusieurs pourquoi pas ! C’est une chance pour un homme de faire d’une femme la Cause de son désir. C’est une occasion pour elle de rencontrer une jouissance supplémentaire, qui la fera Autre à elle-même. Les deux alors risquent de rejouer leur partie avec le manque et le signifiant, car il faudra bien inventer une nouvelle langue où tenter de loger le texte qui s’écrit.

Tout est affaire d’espace, ménagé pour elle comme sujet. Car sans ce jeu dans les rouages, à se faire objet a d’un homme, consentante ou pas, une femme est ravagée. La rencontre avec un analyste lui permettra de savoir y faire avec le rapport sexuel qu’il n’y a pas, de consentir à l’absence d’un signifiant qui viendrait la dire et de prendre acte de sa solitude singulière. L’artiste quant à lui, aussi seul qu’elle l‘est, pourra se saisir du syntagme de femme objet pour le subvertir sans cesse, le traiter et produire un objet d’art à partir de lui !

Les textes de cette rubrique pourront témoigner de tout cela !

* Ce texte a été initialement rédigé pour présenter la rubrique « Femme objet » sur le blog des 49es Journées de l’ECF.