Le titre est extrait d’une citation de Jacques Lacan dans Le Séminaire, livre xviii, D’un discours qui ne serait pas du semblant (texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2006, p. 32.).
Dans son cours « De la nature des semblants», Jacques-Alain Miller donne une boussole solide pour s’orienter dans la question de la sexuation : « La comédie des sexes tient à la différence que nous établissons entre l’être et l’avoir.1Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. De la nature des semblants », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 12 février 1992, inédit.» Il y a une donnée de départ : « Dans le corps se trouve ou ne se trouve pas un organe.2Ibid.» Le j’ai « est la caractéristique de la subjectivation mâle de l’organe, c’est-à-dire de ce que l’on peut appeler la sexuation […] Ce j’ai s’est toujours inscrit comme supériorité, au moins apparente, par rapport au je n’ai pas. C’est une supériorité de propriétaire.3Ibid.» Comment l’homme va-t-il se positionner par rapport à cet avoir ? Va-t-il assumer de l’avoir ? Va-t-il vouloir le garder ? Vouloir en faire don ? Il y a donc, côté masculin, une certaine prévalence de la question de l’avoir, qui peut se décliner de mille manières. « L’homme “lacanien”, tel qu’il traverse les Séminaires et les Écrits est […] un être lourd, gêné, embarrassé par l’avoir.4Miller J.-A., « Des semblants dans la relation entre les sexes », La Cause freudienne, no 36, septembre 1997, p. 11.»
Mais cet embarras de l’avoir ne dit rien de comment être un homme, car pour entrer dans la comédie des sexes, l’avoir ne suffit pas ; il est nécessaire de paraître. Dans la rencontre amoureuse, le paraitre se substitue à l’avoir, puisqu’aimer, c’est donner ce que l’on n’a pas. « C’est déjà faire intervenir le semblant dans l’affaire des sexes […] Il n’y a d’amants que de sujets qui assument leur je n’ai pas […] L’homme n’aime qu’à la condition de reconnaitre qu’il n’a pas.5Ibid.» Il y a donc une double difficulté pour l’homme : pour aimer, il doit consentir au manque, consentir à la castration et à un je n’ai pas qui le féminise. Mais pour désirer, il doit assumer de l’avoir, et d’en faire usage. C’est pourquoi, Lacan peut dire que la rencontre avec le désir d’une femme est toujours une « heure de vérité », c’est-à-dire la mise à l’épreuve du réel du semblant phallique. Aborder une femme implique, pour l’homme, de mettre en jeu sa castration, c’est-à-dire de consentir à une perte, à un manque. Ainsi, indique Lacan, « C’est quand un homme est femme qu’il aime, c’est-à-dire au moment où il aspire pour quelque chose qui est son objet. Par contre, c’est au titre d’homme qu’il désire.6Lacan J., « Une pratique de bavardage », Ornicar ?, no 19, Paris, 1979, p. 9.» Aimer est donc certainement plus difficile pour les hommes, indique J.-A. Miller dans un entretien à Psychologies Magazine7Miller J.-A., « On aime celui qui répond à notre question : “Qui suis-je ?” », Psychologies magazine, octobre 2008, disponible sur internet.. En effet, aimer et désirer sont deux positions subjectives différentes ; aimer implique pour l’homme de mettre en suspens la position virile qu’il occupe lorsqu’il désire. La formule de Lacan « Aimer, c’est donner ce que l’on n’a pas » implique d’assumer son manque, sa castration. « Ce n’est pas donner ce que l’on possède, des biens, des cadeaux, c’est donner quelque chose que l’on ne possède pas, qui va au-delà de soi-même.8Ibid.»
Dans le Séminaire D’un discours qui ne serait pas du semblant, Lacan s’intéresse aux relations amoureuses et sexuelles entre les hommes et les femmes et nous donne une précieuse boussole pour nous orienter. En ce qui concerne la relation entre les sexes, il ne suffit pas d’être, il faut encore paraitre. « Pour le garçon, il s’agit, à l’âge adulte, de faire‑homme. C’est cela qui constitue la relation à l’autre partie […] De ce faire-homme, l’un des corrélats essentiels est de faire signe à la fille qu’on l’est. Pour tout dire, nous nous trouvons d’emblée placés dans la dimension du semblant.9Lacan J., Le Séminaire, livre xviii, D’un discours qui ne serait pas du semblant, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2006, p. 32.» La différence entre l’homme et l’animal, c’est que le semblant, la parade, est véhiculé par un discours. Le rapport sexuel est conditionné par le langage. C’est pourquoi, il n’est pas suffisant d’être un homme, il faut le paraitre. L’ordre du paraitre est soutenu par des discours, ceux de la mode, de la culture, etc.
Ce sont ces semblants qui sont aujourd’hui en pleine évolution. Les standards de la virilité ont changé. « Les stéréotypes socioculturels de la féminité et de la virilité sont en pleine mutation. Les hommes sont invités à accueillir leurs émotions, à aimer, à se féminiser10Miller J.-A., « On aime celui qui répond à notre question : “Qui suis-je ?” », op. cit.», indique J.-A. Miller. Il est attendu des hommes une certaine féminisation de leur être. Il semble qu’aujourd’hui, le « paraître être » l’emporte sur l’avoir. L’expérience analytique a largement contribué à faire trembler les semblants de la masculinité et émerger cette « crise psychologique11Miller J.-A., « Bonjour sagesse », La Cause du désir, no 95, avril 2017, p. 84.». Il n’est plus nécessaire, pour paraitre un homme, de jouer l’insensible. Une « crise de l’homme12Ibid.» est en cours ; quelles en sont les conséquences dans la clinique ? C’est ce que nous découvrirons lors des prochaines journées de l’École de la Cause freudienne.