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J45 - Faire couple, Une lecture du discours courant

« Faire couple » en gynécologie

Entretien avec Romain Favre

© J. Fournier. Photo P. Metz.
30/10/2015
V. Bischoff, I. Galland

À l’occasion des 45es Journées de l’ECF, Valérie Bischoff et Isabelle Galland s’entretiennent avec Romain Favre, gynécologue obsétricien.

Valérie Bischoff, Isabelle Galland : Pouvez-vous nous dire quelle définition vous donneriez des couples que vous rencontrez en échographie ?

Romain Favre : L’échographie est une situation assez singulière pour les couples. Ils sont dans une salle noire et c’est un moment très particulier de la découverte du fruit de la relation.

Il y a toute sorte de couples, ceux qui d’emblée laissent transparaître quelque chose de profond entre les deux, avec une prise de conscience de ce qui va se passer. L’homme est près de la femme, la touche. Pour d’autres, ce n’est pas vraiment ça. La femme découvre la grossesse mais on n’a pas l’impression que son conjoint participe à l’histoire. Elle l’a ramené, ou il a pensé que c’est bien qu’il soit là, mais il ne se sent pas vraiment concerné par ce qui est en train de se passer.

Ce qui me frappe d’emblée, c’est combien la femme est terriblement centrée, préoccupée par son ventre. Le mari vient secondairement, il n’a pas la place centrale.

V. B., I. G. : Pourrait-on dire que la femme fait couple avec son enfant ?

R. F. : Oui, c’est un moment de fusion. La préoccupation centrale de la mère est sur son ventre. Il y a une triangulaire où le mari est un peu une pièce rapportée. Certains s’adaptent et restent en contact avec elle, mais sont quand même en retrait. Il y a aussi le quatrième personnage, c’est le médecin. Mais le couple principal, c’est la mère et son bébé.

D’autres hommes sont absents totalement. Il n’y a même pas de triangle. Il n’y a que la mère et son enfant, et toute la discussion est centrée sur eux. Pour ma part, je réalise que dans ce cas-là, je regarde plus la femme, je m’adresse plus à la future mère.

C’est quand même une situation spéciale, cette chambre noire, ce n’est pas anodin. L’obscurité laisse émerger plus facilement les émotions. Les postures sont différentes. La femme est allongée, déshabillée, l’homme est debout. Il y a l’exploration endocavitaire qui touche à l’intime de la femme qui se trouve du coup plus à fleur de peau. Cela pourrait expliquer que ce que les femmes expriment est plus profond, plus fin que ce que l’homme laisse transparaître.

Il y a aussi le cas particulier des couples homosexuelles. Il y a une osmose entre les deux femmes, la femme qui est le partenaire non gravide est très présente. Elle s’investit et est proche de sa compagne. Je sais tout de suite que c’est un couple homosexuel. Ce n’est pas du tout pareil quand une femme vient avec sa mère ou une amie. Est-ce qu’elle peut mieux imaginer ce que vit sa compagne ? Puisque elle peut s’imaginer ce qui se passe dans son corps qui est comme le sien ?

V. B., I. G. : Comment réagit le couple lorsqu’il y a une annonce de mauvaise nouvelle ?

R. F. : Il y a une réaction immédiate. Lors de l’annonce d’une pathologie, certains couples se rapprochent tout de suite, de manière flagrante, et à l’inverse, des couples présentent une dissension très rapide où le mari prend du recul.

Néanmoins c’est toujours l’homme qui prend la parole le premier pour parler de l’IMG(Interruption médicale de grossesse). Il n’y a pas de demande maternelle à ce moment-là. Elle est en pleine sidération. L’homme va émettre l’idée de l’IMG sans qu’il y ait de discussion préalable du couple. C’est tellement lourd pour la femme que l’homme prend la main en disant : on ne peut pas avoir un enfant comme ça.

V. B., I. G. : Au moment de l’échographie, pourriez-vous dire que la femme fait couple avec vous ?

R. F. : Il y a quelque chose de très fort qui se passe entre celui qui s’occupe de la prise en charge de l’enfant et la femme qui voit son ventre grandir. Par exemple, certains jumeaux présentent une pathologie que l’on nomme « le syndrome transfuseur/transfusé » : le sang du placenta n’est pas partagé équitablement entre eux. Le jumeau « transfusé » risque de recevoir trop de sang et de souffrir d’insuffisance cardiaque alors que le jumeau « transfuseur » peut manquer d’apport sanguin, ce qui provoque chez lui une anémie et une hypotrophie. Il y a une opération intra-utérine qui est pratiquée pour coaguler les vaisseaux et permettre aux deux enfants de grandir normalement. La femme vit une grande angoisse. On change complètement l’histoire de la grossesse. La femme sera reconnaissante qu’on permette que cet enfant vive alors que l’histoire naturelle aurait été la perte de la grossesse. Elle ne l’oubliera jamais et aura une relation privilégiée à ce médecin tout le reste de sa vie.

V. B., I. G. : Pourrait-on dire que c’est parce qu’il y a l’implication du désir du médecin qui est là pour donner la vie ?

R. F. : Il y a aussi une relation forte avec le médecin quand ça échoue. On peut assister à un vrai transfert. Je me souviens de l’histoire assez terrible de ce couple qui attendait des jumeaux. On échoué, a perdu le petit malgré l’opération, le geste devait être insuffisant et l’autre bébé a fait une thrombose iliaque, il y a eu une nécrose et il perdu sa jambe. J’ai vu le couple très souvent pendant la grossesse. Là, ce n’était plus possible pour eux. Ils ont fait le choix de l’IMG, on les a accompagnés.

V. B., I. G. : Vous dites « on a échoué, on a perdu ce bébé ». Il y a une implication de votre part dans cette grossesse ?

R. F. : Quand je m’engage, je m’engage complètement. Soit le couple décide de garder la grossesse et je vais faire tout ce qui est possible pour sauver le ou les enfants. Soit ils décident d’interrompre et là je ne peux pas les pousser.

V. B., I. G. : En trente ans de carrière, l’échographie a beaucoup évolué, avez-vous constaté des changements dans les couples que vous recevez ?

R. F. : Non, on est dans ce qui se noue, dans les scènes qui se produisent au cas par cas. Les choses qui changent au niveau des couples, c’est que je reçois de plus en plus de couples musulmans qui ont des difficultés à avoir affaire à un médecin homme, et que je ne peux entrer en contact directement avec la femme quand le conjoint est présent. Il m’est difficile d’évaluer le degré d’autonomie de cette femme tant elle est soumise à son mari. C’est lui qui parle. Cette notion du couple est très complexe pour moi, J’arrive à leur imposer ma présence parce que je suis soignant et pas seulement homme, et que j’ai des compétences qui peuvent être utiles pour eux, mais il m’est difficile d’intégrer cette limite qu’ils choisissent : en aucun cas le corps de la femme ne doit être vu par un autre homme, ils préfèrent plutôt limiter l’accès aux soins.

Je me demande ce qu’ils pensent, comment peuvent-ils imaginer qu’un médecin peut avoir du désir pour leur femme ? La majorité des soignants ne sont pas sexués quand ils s’occupent de la femme d’un autre.

V. B., I. G. : Vous dites que vous n’êtes pas un homme en consultation. Comment fait-on, quand on est médecin homme, pour ne pas être sexué, face à une femme que l’on examine gynécologiquement ?

R. F. : Ce métier est particulier, puisqu’il ne touche qu’à la sphère de l’intimité d’une femme. Il n’y a qu’une seule option, c’est mettre sa propre sexualité à distance. Il n’y a pas de place pour le désir dans la consultation médicale. On ne peut pas faire ce boulot-là sans une inhibition complète de son propre désir pour pouvoir s’occuper sainement d’une femme. Pour ma part je ne demande jamais aux femmes de se déshabiller complètement. On peut tout à fait effectuer un examen gynécologique en gardant le haut.

V. B., I. G. : Vous nous dites que pour être gynécologue il faut un certain cheminement…

R. F. : J’ai voulu être gynécologue à 16 ans. On nous a montré le film d’un accouchement, j’ai été bouleversé et je me suis dit : « je veux faire ça » ! Après, j’ai trouvé que c’était limité et qu’il y avait aussi les hommes et les enfants et je suis devenu généraliste. Mais je suis revenu à la gynécologie, et ce n’est pas seulement pour les accouchements, même si c’est un moment vraiment particulier, un moment magique qui me fait encore facilement pleurer malgré mes 30 ans de carrière.

Ce qui est particulier aussi dans mon métier, c’est que les femmes ne sont pas malades, je ne m’occupe pas de la partie lourde des soins des femmes. C’est le bébé qui est malade. Ma patiente c’est la femme mais je soigne le futur bébé.

V. B., I. G. : Gardez-vous des liens avec les enfants qui sont nés ?

R. F. : Oui, je reçois plein de mails, de messages de mes patientes. Par exemple, je reçois une lettre d’une mère, à tous les anniversaires de sa fille, écrite comme si c’était cette dernière qui l’écrivait : je vais bien, je grandis… Une autre mère voulait que je sois le parrain de son enfant… Pour les jumeaux, les parents viennent avec eux très régulièrement. On leur adresse des questionnaires, ils pourraient nous les renvoyer par la poste, mais ils viennent montrer leurs jumeaux : regardez comme ils grandissent bien…

On est à des moments clés dans l’histoire d’un couple. Ça peut échouer complètement, mais si on est bien avec eux, les gens n’oublieront jamais, c’est indélébile. Et si ça va mieux, si ça évolue bien, il y a aussi un lien très important.