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J44 - Être mère, Orientation

Être mère. Quelle question !

© J. Fournier. Photo P. Metz.
15/11/2014
Christiane Alberti

Christiane Alberti est la directrice des 44es Journées de l’École de la Cause freudienne.

Assignée au corps et à la reproduction, la maternité a longtemps paru évidente, tangible, naturelle — d’où une histoire des mères relativement récente. À l’écoute du discours des mères, la psychanalyse s’est très vite dégagée de ce préjugé de nature qui ne voyait en elles que les génitrices.

Qu’enseigne la psychanalyse ? Qu’il est possible d’avoir un enfant dans son ventre mais pas dans sa tête, ou bien de se sentir mère de la terre entière sans en avoir aucun. La maternité dépasse la biologie de la procréation et de la gestation. Elle se loge dans les rêves, les fantasmes, l’illusion, la sublimation.

Longtemps le modèle parasitaire, inhérent aux besoins du nourrisson, a livré la vérité du lien mère-enfant. On l’a interprété comme fusionnel. Cette mythologie mammaire, l’image du giron, d’un sweet home, domine puissamment notre subjectivité — nostalgie d’une harmonie supposée, voisine parfois de « la plus obscure aspiration à la mort », comme Lacan le souligne dans Les Complexes familiaux.

Mais cette fiction – je te contiens / tu me contiens — est un leurre. Penser l’autre comme un prolongement de soi est « le pire des égarements », nous dit Lacan. L’enfant est toujours ailleurs, soit radicalement séparé, non de la mère ou de l’Autre, mais d’une part de lui-même — cette part de nature que le langage emporte, laissant place à une béance que peine à combler ce que Lacan nomme l’imaginaire — les scénarios, les illusions, les rêves, mais aussi bien l’angoisse, l’inadéquation de l’existence à l’être.

Il se pourrait que le sevrage soit en premier lieu le drame de la mère. Sa fonction éminente dans les soins implique une intimité avec le corps de l’enfant, qui fera place à des séparations de corps successives, parfois difficiles. Le sevrage est là depuis toujours et pour chacun, comme une coupure fondamentale qui nous ampute d’une plénitude d’être. Le placenta est plaqué sur l’utérus comme le sein sur le corps de la mère, et l’enfant sur le mamelon. Cette brisure fait de ce qui se détache des objets perdus en cause dans le désir. Il en va de même pour l’enfant qui ne saurait combler une femme totalement, de telle sorte que l’on se demande à quelle place il vient pour la mère : petit être idéalisé ou objet de son existence apparaissant dans le réel ? Être mère relève d’une fonction essentielle — celle d’incarner l’Autre de la demande, de transmettre la langue maternelle et d’impliquer l’enfant dans le désir, dans une jouissance. De là s’originent sa puissance et le sentiment de son autorité. Et si l’on interrogeait ces fictions maternelles qui leurrent et enchantent, à la lumière d’une satisfaction réelle ? Elles viennent parfois voiler une zone énigmatique à la mère elle-même, révélée par la naissance de l’enfant. Qu’est-ce qui dans le parcours d’une maternité peut satisfaire, angoisser ou déstabiliser ?

Dans cette expérience, diverses formes d’une image magnifiée de soi peuvent être satisfaites. Elles viennent comme répondre à l’inadéquation de l’idée de la maternité et de son expérience, d’où la force et l’endurance du sentiment maternel. Dés lors, comment se décline cette satisfaction ? Fantasme, délire, dépression, indifférence ? Quelles traces laissera-t-elle sur le lien mère-enfant ? À devenir mère, cesse-t-on d’être une femme ? Question d’autant plus insistante aujourd’hui que la disjonction entre procréation, sexualité et gestation, est manifeste. La demande d’enfant faite à la science grandit sans limites, impliquant une maternité en pièces détachées (ovocytes, gestation par autrui…). La mère est en passe de devenir incertaine.

À mesure que décline l’empire du père, le règne de la matrice gagne inévitablement du terrain, instaurant un vouloir être mère généralisé. Paradoxalement, la paternité cesse d’être une fiction légale pour devenir une réalité biologique. La classique attribution au père de la fonction de la loi, et à la mère celle du soin, est définitivement bouleversée.

La parentalité contemporaine n’est-elle pas un effet de cette montée de maternité, comme modalité nouvelle du lien à l’enfant ?

La modernité révèle ainsi que, telle la rose sans pourquoi, la maternité est sans raison. Aussi le moment est-il crucial pour accueillir dans une psychanalyse la maternité comme un réel. À n’être que du symbole qui la désigne, la maternité est insaisissable. Dans cette époque qui déboussole les mères, entre splendeur de la puissance et mission impossible, la psychanalyse peut apporter des repères et permettre à chacun, chacune, de trouver sa solution, singulière…