« Au temps donc pour le sexe, puisqu’en effet, le capitalisme,
c’est de là qu’il est parti, de le mettre au rancart.1Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris Seuil, p. 532.»
Le titre de ce texte réfère à Miller J.-A., « Question à J. Lacan », Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 534.
Je suis partie de cette phrase de Lacan, dans la biblioattentatsexuel que je vais citer un peu plus largement en amont, pour faire varier la focale : « Le propre de l’ordre, où il y en a le moindre, c’est qu’on n’a pas à le goûter puisqu’il est établi. C’est arrivé déjà quelque part par bon heur, et c’est heur bon tout juste à démontrer que ça y va mal pour même l’ébauche d’une liberté. C’est le capitalisme remis en ordre. Au temps donc pour le sexe, puisqu’en effet le capitalisme, c’est de là qu’il est parti, de le mettre au rancart.2Ibid.»
Deux points m’ont frappée dans cette citation : « ça y va mal pour même l’ébauche d’une liberté », et « le capitalisme, c’est de là qu’il est parti, de le [le sexe] mettre au rancart ». Comment ne pas être troublé par ces deux assertions face au grand dévoilement du sexuel qui envahit l’espace public aujourd’hui ? On pourrait être tentés de se porter en faux contre la première assertion, concernant l’ébauche d’une liberté. Les pratiques très variées des jeunes et moins jeunes au plan sexuel, la liberté accrue de jouir de différentes façons et de plusieurs partenaires, celle d’en parler publiquement, la liberté de dénoncer, et peu à peu d’être entendu, face aux abus dans le registre sexuel, l’usage protéiforme de la pornographie…, n’est-ce pas là la trace d’une ébauche de liberté dans le registre sexuel ?
Plus de quarante-cinq ans après, force est de constater – en particulier pour les analystes qui bénéficient d’un observatoire sans pareil sur ces questions – que cette liberté en effet n’en est pas même à l’état d’ébauche, et que d’avoir perdu la boussole d’une initiation sexuelle qui consiste à savoir que « le voile levé ne montre rien3Lacan J., « Préface à l’Éveil du printemps », Autres écrits, Paris, op. cit., p. 562.», ladite aspiration à la liberté s’est muée en pousse-à-jouir, dont nous peinons à freiner les effets. Le contrat sexuel, grand refoulé du contrat social4Cf. Pateman C., Le contrat sexuel, Paris, La Découverte, 2010., à en croire Carole Pateman, fait retour via plusieurs formes : la jouissance débridée, l’illusion contractualiste, la judiciarisation accrue de la sexualité, mais aussi, la prolifération des abus, au sens large.
Le voile levé ne montre rien.
J. Lacan
L’Abus est sans doute l’un des noms actuels de la cause sexuelle, quand celle-ci, connectée à l’objet a, voit ses noces avec l’Autre rompues et son pacte avec les semblants dénoncé. Le phallus est la condition du semblant, le voile en question – qui à être soulevé, ne montre rien – c’est le semblant phallique. Il est arbitraire, et en ce sens abusif5Mention de « l’abus de structure » par Caroline Leduc, réunion préparatoire aux J50 par Zoom, le 4 juin 2020. mais c’est un abus au second degré dans la mesure où il prend en charge un abus plus profond, qu’il traite et civilise. Cet abus premier, de moins en moins caché derrière des semblants actuellement dénoncés comme étant eux même abusifs, cet abus premier concerne le fait que « la cause sexuelle est réelle », [et que] « la fonction sexuelle est en soi abusive6Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Cause et Consentement », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’Université Paris 8, leçon du 16 décembre 1987, inédit.», comme le souligne Jacques-Alain Miller.
Ainsi la prophétie lacanienne n’est pas encore démentie. « Pourquoi diable le dire ?7Lacan J., « Télévision », op. cit., p. 534.», comme le demandait J.-A. Miller à Lacan, en 1974, à propos du racisme, à quoi celui-ci répondait : « Parce que ce ne me paraît pas drôle et que pourtant, c’est vrai.8Ibid.»