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J45 - Faire couple, Une lecture du discours courant

En prison

Interview du Dr Valérie Pera Guillot

© J. Fournier. Photo P. Metz.
14/10/2015
Guillaume Roy

J45 : Valérie Pera Guillot, vous êtes psychiatre, et vous exercez une partie de votre pratique au sein d’un établissement pénitentiaire pour hommes. Concernant le couple, que vous apprennent les sujets que vous rencontrez ?

V. P. G. : Travailler dans une prison pour hommes conduit à travailler avec des sujets pour lesquels la rencontre avec la part d’intraitable du partenaire féminin les a conduit derrière les barreaux. Il n’est pas rare de retrouver des hommes mis en accusation par la mère de leurs enfants et écroués sur fond d’allégation d’abus sexuels sur leur progéniture. Ces accusations émergent au moment d’une rupture ou d’un conflit sur la garde des enfants. Dans les cas que j’ai eu à rencontrer, cela se passe quand l’homme a rencontré une nouvelle compagne. Certaines femmes sont prêtes à tout sacrifier, jusqu’à leurs enfants, à condition que leur homme ne soit à aucune autre.

Un bref exemple : un homme d’un milieu aisé, bourgeois bien inséré socialement, marié une première fois et divorcé de sa première femme avec laquelle il a eu trois enfants, refait sa vie avec une autre. Il a un enfant de ce deuxième lit. Les relations avec sa première femme sont difficiles mais possibles jusqu’au jour où il se marie avec sa compagne actuelle, la mère de son dernier enfant. À partir de ce mariage, sa première femme n’aura de cesse de lui rendre la vie infernale, tentant par tous les moyens de le priver de ses enfants auxquels il est très attaché. Elle parviendra à le faire emprisonner par un stratagème que l’enquête dévoilera au bout de plusieurs mois durant lesquels cet homme reste incarcéré. Durant tout ce temps, les enfants sont interdits de visite à leur père, le juge n’a pas autorisé les parloirs aux enfants. Les trois enfants ont fugué de chez leur mère et les deux plus âgés ont choisi l’ASE plutôt que le retour au domicile de la mère. Cet homme a rencontré des psys en prison pour la première fois de sa vie pour cause de « choc carcéral avec menace de passage à l’acte suicidaire » à son arrivée. Cette rencontre avec des psys en prison lui permettra d’interroger le couple que sa première femme a fait pour eux, et celui qu’il a construit avec sa deuxième femme, qui répond à un tout autre modèle. Une fois sorti de prison, c’est à l’avocat qu’il a choisi de continuer à s’adresser pour obtenir la garde de ses enfants.

Dans ces couples, l’homme découvre en prison la part d’illimitée de celle qu’il croyait connaître. C’est cette rencontre avec le sans limite de la femme auquel ils ont affaire qui les conduit à poursuivre les entretiens avec un psy, bien plus que le choc que peut représenter l’entrée dans l’univers carcéral.

J45 : Ces hommes emprisonnés, comment traversent-ils leur incarcération du point de vue d’une vie de couple ?

V. P. G. : Les femmes ne sont pas rares qui se mettent en couple avec des détenus qu’elles rencontrent durant le temps de leur incarcération. Il me semble que l’on peut dégager quelques propositions générales qui conduisent ces femmes à choisir un partenaire prisonnier.

La dimension de la castration : elles aiment un homme privé, privé entre autres de liberté par la loi. Et dans le même temps, le prisonnier est marqué d’une certaine aura de virilité. C’est une condition de l’amour pour ces femmes : un homme viril mais qui doit être marqué du sceau de la castration. Suivant le même principe, il s’agit pour certaines de remettre le voyou dans le droit chemin grâce aux vertus de l’amour.

J45 : Dans les cas des crimes passionnels, comment envisagez-vous le rôle du psychiatre qui peut être amené à recevoir le sujet qui a commis le crime ?

V. P. G. : Le crime passionnel n’est pas un diagnostic psychiatrique. Cependant, dans certains cas, nous pouvons souhaiter que le crime soit reconnu comme passionnel : une telle cause émeut les jurés, elle trouve crédit auprès du public, elle met celui qui l’a commis à l’abri de la vindicte des autres détenus, on le respecte. Mais derrière le crime passionnel il n’est pas rare que le psychiatre reconnaisse une pathologie mentale. Je pense au cas d’un homme rencontré il y a plusieurs années. Il était incarcéré pour acte de barbarie : il avait tué sauvagement l’ex-amant de sa femme. Cette compagne, plutôt paumée, toujours soumise à cet amant, avait plusieurs fois provoqué des rencontres entre notre patient et cet homme. Lors de leur dernière entrevue, c’est muni d’une matraque pour lui faire peur qu’il était allé lui rendre visite. Mais lorsqu’il l’a approché, un vide absolu l’a envahi, et déconnecté de toute pensée, il a levé la matraque et son bras a frappé de nombreuses fois. Pour les médias, le crime avait trouvé sa cause : notre patient, manipulé par la femme qu’il aimait et par amour pour elle, avait cherché à la protéger. Pour le psychiatre orienté par la psychanalyse, il s’agit de dégager les coordonnées de l’acte.

Notre patient, enfant, avait vu son père se noyer, et depuis il se reprochait de ne pas l’avoir sauvé. À partir du drame, il avait vécu avec une mère déprimée qu’il avait toujours eu peur de perdre. Adulte, il avait choisi une profession où il pouvait sauver les personnes. Son métier lui donnait un statut social, il était apprécié et reconnu. Le crime avait transformé et précipité en un acte barbare l’ordre de sauver l’autre auquel ce patient obéissait, à son insu, depuis la mort du père : sauver la femme aimée et plus fondamentalement sauver la mère.

Dégager la logique du cas m’est nécessaire, en tant que psychiatre, pour mesurer la dangerosité potentielle du patient, mais aussi pour cerner la traduction de cette logique dans le corps, dans les pensées et ainsi orienter ma prescription. Le psychiatre est à l’interface entre la pénitentiaire, la justice et le système hospitalier. Ces conditions de travail imposent un travail à plusieurs où c’est le plus souvent avec un psychologue que le patient poursuit les entretiens.