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J52 , Orientation

Du bon usage du déni

20/10/2022
Marie-Hélène Brousse

Lors d’une récente exposition sur l’Art brut, on pouvait lire cette phrase anonyme : « Et pourquoi moi je dois parler comme toi ». Ne pas parler comme le semblable ou ne pas parler comme le grand Autre ? Les deux évidemment.

Ne pas parler comme le grand Autre, pas de problème. Il n’y en a pas et il ne parle pas. Il est un dépôt de paroles, immédiatement converties en déchet dans cette poubelle. C’est donc une des formulations possibles de l’impossible.

Ne pas parler comme les petits autres, dont font partie non seulement les semblables, mais aussi soi-même, voilà qui est plus compliqué. Rappelons l’une des dernières interventions de Jacques Lacan, le 10 juin 1980, intitulée par Jacques-Alain Miller « Le malentendu » : « Je vais revenir [du Venezuela où il part alors] parce que ma pratique est ici – et ce séminaire, qui n’est pas ma pratique, mais qui la complémente. Ce séminaire, je le tiens moins qu’il ne me tient. Est-ce par l’habitude qu’il me tient ? Sûrement pas, puisque c’est par le malentendu. Il n’est pas près de finir, précisément parce que je ne m’y habitue pas, à ce malentendu. Je suis un traumatisé du malentendu. Comme je ne m’y fais pas, je me fatigue à le dissoudre. Et du coup, je le nourris1Lacan J., « Le malentendu », Ornicar ?, n° 22/23, printemps 1981, p. 11-12.».

Le malentendu, voilà ce qui pousse à parler aux semblables. Mais, mon malentendu n’est pas le tien et inexorablement le sens est en fuite. « Pourquoi je dois parler comme toi ? » : pour faire exister par les mots le lien qui n’a d’autre puissance que celle, considérable certes, du semblant. Pour croire avoir une chance de te parler, je vais m’essayer à croire pouvoir parler comme toi, dont pourtant j’ignore lalangue. La garantie n’est donc pas de parler comme toi, puisqu’alors je ne sais plus qui dit. Elle est dans la croyance dans le dire sur laquelle est fondée cette version contemporaine d’un cogito imaginaire « Je suis ce que je dis ». Car le grand Autre, qui permet à Descartes dans la troisième Méditation de maintenir l’évanescence du je suis, cet Autre-là n’est plus.

Reste ce je dis. Le déni contenu dans ce moderne cogito suffit à l’analyste : Dis toujours, puisque je suis là prêt à t’écouter à n’écouter que toi, et qu’il y a là une jouissance à laquelle il t’est difficile de résister. Hé tu m’écoutes quand je parle ! Oui l’analyste écoute chaque mot que tu dis, parce que tu es, caché à toi-même, dans chaque mot que tu dis. C’est dans la motérialité et l’équivoque que l’inconscient touche au réel. Pas d’autre accès à ce réel qu’une analyse.

 


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    Lacan J., « Le malentendu », Ornicar ?, n° 22/23, printemps 1981, p. 11-12.