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J51 - La norme mâle, Orientation

Domination phallique ?

© D'après J. Fournier.
06/10/2021
Pierre Ebtinger

Si le mâle dominant existe dans le règne animal, son existence humaine est plus douteuse. Le signifiant, une fois de plus, complique les choses. En effet, il empêche la domination de se jouer dans une simple lutte de prestige ou un simulacre de soumission.

Chez les loups, la lutte des mâles ne consiste pas à s’entretuer, mais à s’intimider1Lorenz K., L’agression, une histoire naturelle du mal, Paris, Flammarion, 2018, p. 276.. Cela n’est pas très différent chez l’être humain, à ceci près, nous dit Lacan, que le loup vainqueur ne se croit pas deux loups, tandis que « l’être parlant, lui, se croit deux, à savoir, comme on dit, maître de lui-même2Lacan J., Le Séminaire, livre xvi, D’un Autre à l’autre, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2006, p. 366.».

Cette remarque laisse entrevoir que la domination se joue dans différentes voies : maîtrise de soi, domination du rival, et, à l’horizon, jouissance du corps d’un autre. Mais qu’il s’agisse du moi, du semblable ou du partenaire, la domination est une voie imaginaire, au même titre que la prestance ou le prestige3Lacan J., Le Séminaire, livre v, Les formations de l’inconscient, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1998, p. 316..

Ce qui se donne à voir dans le registre imaginaire sous l’aspect de la domination est l’inverse de ce qui se réalise dans l’avènement du sujet. Le sujet n’existe que de sa prise dans le signifiant et sa vie est dominée par un objet qui « est pris dans la fonction du signifiant4Ibid., p. 231.». Si domination il y a, ce n’est donc pas celle du sujet sur l’objet, mais c’est « le fantasme [qui] domine toute la réalité du désir5Lacan J., Le Séminaire, livre xvii, L’envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 149.».

La jouissance sexuelle, même recherchée au travers de fantasmes de domination, est asservie à la fonction phallique, c’est-à-dire à l’ordre symbolique. Or, « il s’avère que, du fait de dominer également les deux partenaires, la fonction phallique ne les fait pas différents6Lacan J., Le Séminaire, livre xix, …ou pire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2011, p. 101.». Autrement dit, ce n’est pas la référence au phallus qui permet à l’homme de s’assumer comme mâle.

« Domination phallique » est donc presque un oxymore – domination désignant un processus imaginaire et phallique, et un processus symbolique. La domination phallique est un montage fantasmatique dont on peut soupçonner que la prégnance est d’autant plus forte que la symbolisation sexuelle rencontre un obstacle sur la voie qui règle le rapport du sujet à l’objet qui le domine. Elle nomme ainsi une série de dispositifs fantasmatiques qui utilisent le moi pour traiter la jouissance sur le mode de la maîtrise.

Lacan nous en montre l’exemple dans sa lecture du petit Hans lorsqu’il met en évidence ce qu’a eu de déterminant sa relation à sa petite sœur dont il se sert « comme une sorte d’idéal du moi » en tant qu’elle domine le cheval. « Il se trouvera désormais dans une relation de maîtrise […] de cet autre imaginaire que sera pour lui toute espèce de fantasme féminin […] il aura toujours affaire à ce fantasme narcissique où vient s’incarner l’image dominatrice7Lacan J., Le Séminaire, livre iv, La relation d’objet, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1994, p. 406-407.».

Dans la maîtrise de soi, l’homme se heurte à l’obstacle de son organe sexuel sur lequel il n’exerce un contrôle que très relatif et dont la détumescence reste incontournable quelle que soit la performance dont il peut faire preuve. Faute de contrôler l’organe, il peut se repérer sur l’objet qui domine son rapport à la jouissance, c’est-à-dire assumer la castration. Il peut aussi s’en défendre avec des fantasmes de domination intéressant la suprématie sur un rival ou une partenaire.

Rien dans l’œuvre de Freud ou l’enseignement de Lacan ne donne consistance à une « domination phallique ». À y regarder de près, cette expression n’est qu’un avatar des constructions imaginaires qui pallient les défauts de symbolisation de l’être mâle.

 


  • 1
    Lorenz K., L’agression, une histoire naturelle du mal, Paris, Flammarion, 2018, p. 276.
  • 2
    Lacan J., Le Séminaire, livre xvi, D’un Autre à l’autre, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2006, p. 366.
  • 3
    Lacan J., Le Séminaire, livre v, Les formations de l’inconscient, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1998, p. 316.
  • 4
    Ibid., p. 231.
  • 5
    Lacan J., Le Séminaire, livre xvii, L’envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 149.
  • 6
    Lacan J., Le Séminaire, livre xix, …ou pire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2011, p. 101.
  • 7
    Lacan J., Le Séminaire, livre iv, La relation d’objet, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1994, p. 406-407.