« Elle [Aimée] dit qu’elle vivait alors dans la crainte perpétuelle et imminente
de l’attentat qui devait frapper son enfant.1Lacan J., De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité (1932), Paris, Seuil, 1975.»
Attentat est donc le terme choisi par Lacan dans sa thèse de doctorat pour désigner ce qui pourrait arriver au fils d’Aimée. Mais relevons que c’est aussi le terme utilisé par Lacan pour évoquer l’acte même d’Aimée. Il nous dit en effet : « Dans les huit derniers mois avant l’attentat, l’anxiété va croissant. Elle ressent alors de plus en plus le besoin d’une action directe2Ibid., p. 170.».
En rapprochant ainsi l’acte du délire, Lacan soutient que pour certains crimes, le sujet qui commet l’acte est aux prises avec son inconscient comme n’importe quel autre sujet ; alors que souvent, dans la pratique de l’expertise psychiatrique, « le meurtre consiste à lui seul tout le tableau sémiologique de l’anomalie psychique présumée3Ibid., p. 298.».
Le mot attentat met en valeur un lien entre une dimension politique et les lois inconscientes du sujet. « L’homme naît dans les fers » écrit Jacques-Alain Miller, « Il est prisonnier du langage, et son statut premier est d’être objet4Miller J.-A., Préface à L’inconscient de l’enfant, Hélène Bonnaud, Paris, Navarin / Le Champ freudien, 2013, p. 11.». Si, depuis Freud, l’homme n’a plus la garantie de son libre arbitre, la psychanalyse avec Lacan n’en soulève pas moins la question de la responsabilité dans le champ politique et social.
Le délire est par lui-même une activité interprétative de l’inconscient.
J. Lacan
Ce qui pousse Aimée à frapper d’un coup de couteau une innocente, c’est une « nécessité » inconsciente que le délire tente de métaphoriser. Lacan indique que « le délire est par lui-même une activité interprétative de l’inconscient5Lacan J., De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, op. cit., p. 293.». Les romans d’Aimée écrits quelques mois avant l’acte en témoignent. Lacan situe le déclenchement de l’inquiétude délirante dix ans avant l’attentat, à la première grossesse d’Aimée. La pulsion infanticide, puis l’agressivité envers sa sœur, qui représente l’image de la femme qu’Aimée n’arrive pas à atteindre, sont couverts d’un déni. Un délire se forge (on veut du mal à son enfant) dont la fonction est d’éloigner Aimée de son objet de haine.
La question du narcissisme est centrale. En frappant une actrice renommée, Aimée frappe son Idéal du Moi. « Aimée frappe donc en sa victime son idéal extériorisé, comme la passionnelle frappe l’objet unique de sa haine et de son amour.6Ibid., p. 253.» Mais si le délire justifie l’acte, l’acte ne la soulage pas du délire. Le délire chute, en prison, quand auprès de femmes réellement délinquantes, Aimée éprouve qu’elle s’est punie elle-même par son acte.
La thèse de Lacan conserve toute sa valeur politique au regard des questions de dangerosité, de responsabilité pénale, d’application des peines ou bien des procès en public. Francesca Biagi-Chai, dans son ouvrage sur les tueurs en série, indique que « les degrés de la responsabilité se mesurent à la charnière de l’articulation du sujet à la réalité de sa vie et au réel des actes criminels7Biagi-Chai F., Le cas Landru à la lumière de la psychanalyse, Paris, Imago, 2007, p. 21.».
Les J50 seront aussi au cœur de ces questions. Les cas cliniques nous feront entendre des énonciations d’une jouissance qui peut faire attentat.