La sexualité est toujours traumatique. Le trauma est ici un trou réel à l’intérieur du symbolique. C’est le non-rapport. Mais ce trauma ne vient-il pas en voiler un autre que la cure permet de mettre au jour ? L’attentat de lalangue sur le corps.
Le scandale freudien c’est le dévoilement de la réalité sexuelle de l’inconscient à l’époque victorienne, c’est là la version de l’intime dévoilé par la psychanalyse. Avec la Traumedeutung, Sigmund Freud nous dévoile sa propre intimité avec l’interprétation du rêve « voie royale1Freud S., L’interprétation du rêve, Paris, PUF, 2012, p. 517.» vers le dévoilement.
Voilement et dévoilement sont aussi deux termes qui font référence à l’utilisation des semblants, la prise dans le langage rendant le réel directement inaccessible. Cette perte mythique, c’est la version lacanienne de la castration.
Prenons le rêve de l’injection faite à Irma, « le rêve initial, le rêve des rêves2Lacan J., Le Séminaire, livre II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1980, p. 178. » nous dit Jacques Lacan, rêve qui fera dire à S. Freud, qu’un jour sur le seuil de cette maison on inscrira peut-être : « Ici se dévoila le 24 juillet 1895 au Dr Sigmund Freud le mystère du rêve.3Freud S., « lettre 248 – 12 juin 1900 », Lettres à Wilhem Fließ 1887 – 1904, Paris, PUF, 2015, p. 527.»
Mais que dévoile-t-il ?
Il y a deux parties dans ce rêve, la première se terminant par la vision d’un trou, l’image du fond de la gorge d’Irma, qui peut tout-à-fait s’associer à l’organe sexuel féminin. C’est une tête de méduse cette gorge, avec ses « formations contournées qui ont l’air de cornets4Freud S., L’interprétation du rêve, op. cit. p. 100.». C’est une représentation du trou réel dans le symbolique lié à l’absence de signifiant faisant paire avec le phallus. Une représentation du « troumatisme5Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 19 février 1974, inédit.» lié au non-rapport sexuel.
C’est aussi une évocation de la mort par l’association qu’il fait avec les membranes de la diphtérie qui a menacé d’emporter sa fille aînée qui porte le même prénom qu’une de ses patientes dont il se reproche le décès.
Est aussi évoquée l’énigme de ce que veut une femme. En effet, Lacan nous rappelle que le récit du rêve se passe sur fond de résistance, résistance au traitement mais aussi résistance à l’examen (« Elle manifeste une certaine résistance comme les femmes qui portent un dentier.6Freud S., L’interprétation du rêve, op. cit., p. 102.»), ceci pour jouer sur le fait que « les femmes qui résistent, cela ne nous excite plus7Lacan J., Le Séminaire, livre II, Le moi dans la théorie de Freud…, op. cit., p. 185.». Dans la première partie du rêve, la signification sexuelle se déploie donc largement, et vient se conclure sur cette gorge, cette chair que l’on ne voit jamais, sur cette « vision d’angoisse, dernière révélation du Tu es ceci – Tu es ceci, qui est le plus loin de toi, ceci qui est le plus informe8Ibid., p.186.», ceci que ton désir va chercher dans l’Autre, pourrions-nous dire avec un Lacan plus tardif. Pas d’autre intimité que cela, vois-le !
Ici, Freud ne se réveille pas, « parce que c’est un dur !», dit Lacan9Ibid.. Il ne veut pas continuer à dormir en se réveillant.
C’est l’amour de Freud pour la vérité qui s’exprime là. Il veut voir au-delà de la trame du rêve, voir au-delà du voile des semblants, au-delà de la marque de la castration, comme il voit dans le texte du rêve « à travers le vêtement10Freud S., L’interprétation du rêve, op. cit., p. 107.» le lieu où a pénétré la solution d’Otto avec son aiguille sale qui a provoqué l’infection – il veut voir la solution (du mystère du rêve)… Il ne trouve qu’une formule.
En effet, la seconde partie se termine par l’écriture de la formule de la triméthylamine, formule faite de lettres, venant là constituer le dernier terme du rêve. Je cite Lacan : « Tel un oracle, la formule ne donne aucune réponse à quoi que ce soit. Mais la façon même dont elle s’énonce, son caractère énigmatique, hermétique, est bien la réponse à la question du sens du rêve. On peut la calquer sur la formule islamique – Il n’y a d’autre Dieu que Dieu. Il n’y a d’autre mot, d’autre solution à votre problème, que le mot.11Lacan J., Le Séminaire, livre II, Le moi dans la théorie de Freud…, op. cit., p.190.» Formule marquant la présence du symbolique, de la lettre hors sens dans le réel comme nous le fait remarquer Bernard Seynhaeve12Cf. Seynhaeve B., « L’injection faite à Irma, Un rêve de passe de Freud », Freud à-la-Lacan, Papers+Un, février 2020., lettre qui borde le réel.
Que dévoile ce rêve si ce n’est qu’il n’y a pas de rapport sexuel, ni de vérité dernière, de dévoilement absolu ?
Le trou de la castration ne voilait/dévoilait qu’une formule hors sens, soit un autre trou, la vérité ne peut toute se dévoiler, elle ne peut que se mi-dire. Si dans l’enseignement de Lacan le terme de vérité est peu à peu dévalué au profit de celui de réel, dans « Le moment de conclure » il nous dit : « Le réel n’apparait donc que par un artifice, un artifice lié au fait qu’il y a de la parole et même du dire. Et le dire concerne ce qu’on appelle la vérité. C’est bien pourquoi je dis que la vérité on ne peut la dire.13Lacan J. Le Séminaire, livre XXV, « Le moment de conclure », leçon du 10 janvier 1978, inédit. ».
Parfois, « rêver sur le rêve14Ibid., leçon du 11 avril 1978. « Freud, dans l’interprétation des rêves, ne fait pas mieux : par l’association libre, sur le rêve il rêve. »», comme le fait Freud, qui ne consacre pas moins de treize pages à son interprétation, c’est venir masquer le réel qu’il contient. Mais l’interprétation rencontre une butée, ici le point d’ombilic, « point où la dimension d’interprétation menée à son terme s’annule, et n’en demande plus quant à la production d’un sens autre.15Vanderveken Y., « L’ombilic du rêve n’est pas un ineffable », Rebus, n°26, juin 2020.» Si « on ne se réveille jamais : les désirs entretiennent les rêves16Lacan J., « Improvisation, désir de mort, rêve et réveil – réponse à Catherine Millot », L’Âne, n°3, automne 1981, p. 3.», on peut cesser de rêver sur ses rêves.
Les rêves présents dans les témoignages des AE ne montrent-ils pas, lorsque le sens s’est asséché, la même réduction à une lettre qui fait écriture hors sens, lettre qui vient border un réel. Ainsi, « du […] trou noir dans le sens […] on n’attrapera plus que les ondes qu’il envoie17Brousse M.-H., « L’artifice, envers de la fiction – Quoi de neuf sur le rêve 120 ans plus tard ? », pour la soirée de l’AMP « Une nuit de rêve – Vers le XIIe Congrès de l’AMP » à l’ECF, Paris le 28 janvier 2019, Rebus, no7, septembre 2019.». Soit des traces de jouissances laissées par lalangue. Il s’agira donc plus dans l’interprétation d’indiquer le trou et les résonances qui nous en parviennent que de les voiler par le sens. Là est « l’horizon du réveil18Laurent É., « Conversation avec Éric Laurent – soirée de l’AMP ‘‘Une nuit de rêve. Vers le XIIe Congrès de l’AMP’’ à l’ECF, Paris, 28 janvier 2019, inédit.», là où l’intime rencontre « le lieu de plus personne19Ibid.».