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J50 - Attentat sexuel, Sublimations

Des robes, encore

© AKOM
30/06/2020
Valérie Bussières

Robe et souvenir écran

Quand les robes dévoilent les chevilles, c’est un scandale. Durant des siècles, le buste est corseté mais décolleté alors que les jambes sont cachées sous un amas de plis1Vigarello G., La robe, une histoire culturelle, Paris, Seuil, 2017, p. 13.. Tel un voile, la robe recouvre la rencontre sexuelle voire l’attentat de la nuit de noce. Pour exposer sa théorie sur les souvenirs écrans, Freud imagine une conversation. Il raconte une scène infantile : deux garçons et une fille cueillent des fleurs. De cette scène anodine se détache, comme en relief, la couleur jaune des fleurs.

C’est à l’adolescence qu’a surgi le souvenir de cette scène infantile. Alors qu’il est un jeune homme, il retrouve une amie d’enfance dont il tombe amoureux. L’excitation sexuelle est au rendez-vous, comme la fiction qu’il épouse cette jeune fille. Poursuivant son questionnement sur la scène infantile, il associe le détail prégnant du jaune avec la couleur de la robe de la jeune fille et poursuit : « ôter sa fleur à une jeune fille, cela signifie bien la déflorer2Freud S., « Sur les souvenirs écrans », Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1997, p. 126.».

Dans le souvenir des jeux dans la prairie des Alpes, « c’est la petite fille qui a le plus joli bouquet, mais nous les garçons […] nous lui arrachons les fleurs ». Ainsi, il est question de « dérober les fleurs à la petite fille3Ibid., p. 128.». Avec la sexualité infantile transparaît le surgissement du réel du sexe. Pour l’enrober se construit des souvenirs-écrans, véritables condensés de fantasmes.

Robe et attentat sexuel

Si la crinoline – sous vêtement donnant de l’ampleur à la robe – impose une distance sociale, elle ne protège pas de tous les attouchements. Freud théorise la séduction à partir du cas d’Emma. Cette jeune patiente qui s’habille maintenant comme une dame, souffre de ne pouvoir entrer seule dans une boutique. Elle associe d’abord avec une scène d’adolescente : un jour deux vendeurs se sont moqués de sa robe.

Se révèle aussi que l’un des deux hommes lui a plu. L’émoi sexuel est aux premières loges. Avec pour seul lien associatif conscient le vêtement, l’analyse retrouve la première scène datant de l’enfance : « À l’âge de huit ans, elle était entrée deux fois dans la boutique d’un épicier pour y acheter des friandises et le marchand avait porté la main, à travers l’étoffe de sa robe, sur ses organes génitaux4Freud S., « Lettre à Fliess du 25 septembre 1895 », Naissance de la psychanalyse, Paris, PUF, 2002, p. 365.». Freud nommera attentat, ce qui du sexuel s’inscrit sur le corps violemment telle une déflagration. La rencontre sexuelle vient faire effraction dans l’intimité en après-coup.

Ôter sa fleur à une jeune fille, cela signifie bien la déflorer.

S. Freud

 

Une robe qui attente à la pudeur…

La robe à fourreau, avec sa fluidité, dessine les hanches. Si le fourreau désigne d’abord un étui de protection pour une arme blanche, une gaine épousant la forme ; la robe sexy des années 50 expose le corps et le sexualise. Passée de sex-bomb à sex-symbol, Marilyn Monroe et « ses belles jambes défient l’Amérique puritaine des années 505Arpin D., Couples célèbres, liaisons inconscientes, Paris, Navarin, 2016, p. 81.».

Sa robe fourreau gaine son corps via le regard du monde posé sur elle. C’est ce que révèle la scène de l’happy birthday chanté au président John Kennedy, en 1962. Cousue à même sa peau juste avant de monter en scène, car elle ne peut l’enfiler tant le fourreau est étroit, la robe qu’elle porte – couleur chair brodée de cristaux – ne dissimulait rien de son anatomie. Cette robe attente à la pudeur. Parfois la robe fourreau expose le corps, parfois elle le dérobe.

Une « robe-corps »

Dans le roman de Marguerite Duras, c’est au bras du fiancé de Lol qu’Anne-Marie Stretter sort de la salle de bal. Lol perd pied. Lacan nous livre dans son hommage : « il est à prendre à la première scène, où Lol est de son amant proprement dérobée, c’est-à-dire qu’il est à suivre dans le thème de la robe6Lacan J., « Hommage fait à Marguerite Duras, du ravissement de Lol V. Stein », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 193.». Mais ce rapt ne s’arrête pas là car après le bal il y a eu un arrêt sur image. Ce qui ne s’est pas accompli pour Lol, « c’est d’assister à l’apparition du corps dénudé de l’autre, et dénudé par l’homme […] c’est ce qui lui aurait à elle donné un corps7Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Les us du laps », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 24 mai 2000, inédit.». Cette scène traumatique de l’amant dérobé dévoile après-coup la vacuité du corps de Lol.

« Ceci va-t-il plus loin ? oui, à l’indicible de cette nudité qui s’insinue à remplacer son propre corps.8Lacan J., « Hommage fait à Marguerite Duras », op. cit.» Lol n’a jamais eu de corps pulsionnel, seule existait – via le regard de l’autre – l’image du corps qui donnait une enveloppe au réel de son corps. Ainsi, « on a dans ce fantasme de la robe, disons l’opération par laquelle le sujet et le corps se remplacent l’un l’autre […] la robe remplace le corps9Intervention d’Éric Laurent dans le cours de J.-A. Miller « L’orientation lacanienne. Les us du laps », op. cit.». La nudité était dessus. Alors, pour Lol, l’attentat était-il sexuel ?


  • 1
    Vigarello G., La robe, une histoire culturelle, Paris, Seuil, 2017, p. 13.
  • 2
    Freud S., « Sur les souvenirs écrans », Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1997, p. 126.
  • 3
    Ibid., p. 128.
  • 4
    Freud S., « Lettre à Fliess du 25 septembre 1895 », Naissance de la psychanalyse, Paris, PUF, 2002, p. 365.
  • 5
    Arpin D., Couples célèbres, liaisons inconscientes, Paris, Navarin, 2016, p. 81.
  • 6
    Lacan J., « Hommage fait à Marguerite Duras, du ravissement de Lol V. Stein », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 193.
  • 7
    Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Les us du laps », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 24 mai 2000, inédit.
  • 8
    Lacan J., « Hommage fait à Marguerite Duras », op. cit.
  • 9
    Intervention d’Éric Laurent dans le cours de J.-A. Miller « L’orientation lacanienne. Les us du laps », op. cit.