Ce texte a été initialement rédigé pour la rubrique « Nuances » du blog des 51es Journées de l’ECF, qui consistait à déplier un commentaire autour d’une citation.
« Il s’agit de savoir comment le petit Hans va pouvoir supporter son pénis réel, justement dans la mesure où celui-ci n’est pas menacé. C’est là le fondement de l’angoisse. Ce qu’il y a d’intolérable dans sa situation, c’est cette carence du côté castrateur. »
Lacan J. Le Séminaire, livre iv, La relation d’objet, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1994, p. 365.
Quoi de plus saisissant que ce commentaire de Lacan sur le pénis du petit Hans, objet central du cas freudien dont il a déplié le fil dans son Séminaire IV ? Il situe d’emblée le problème : avoir un pénis est encombrant pour le petit sujet et ce, d’autant plus qu’il n’a pas subi de menace de castration. Sans la castration, l’angoisse surgit.
Le phallus hors service
Si nous prenons le documentaire qui a fait grand bruit, Petite fille1Petite fille, documentaire réalisé par Sébastien Lifshitz, 2020., nous sommes saisis par la présence de l’angoisse, symptôme reconnu de la dysphorie de genre, définie comme trouble de l’identité chez l’enfant et ce, avant l’âge de cinq ans. Cette dysphorie de genre n’est pas lue à l’aune des concepts psychanalytiques et particulièrement de la thèse freudienne sur le phallus comme condensateur de jouissance. En cela, elle se réduit à une souffrance ressentie comme un dommage lié à une erreur sur son sexe, responsable d’une impossibilité à s’identifier à son sexe biologique. La dysphorie de genre n’aurait pas d’autre cause que d’exister en tant que vérité pour le sujet, voire certitude. Certes, on ne choisit pas son sexe. Mais on choisit son mode de jouissance, ce qu’ignore la dysphorie de genre. Elle suppose une jouissance de l’organe mâle comme identité masculine, et une jouissance du sexe féminin comme identité féminine, respectant en cela le binarisme remis en question par les partisans de la transidentité. Or, comme on le voit dans le documentaire, ce qui, dans la clinique, est mis en jeu, c’est l’effroi suscité par la présence du pénis réel chez le petit garçon. Avoir cet organe est insupportable et symptomatique de cette question de la menace de castration, spécialement quand celle-ci est totalement ignorée. Selon cette hypothèse, l’enfant qui ne supporte pas son organe réel n’a sans doute pas rencontré la menace de castration. Celle-ci est restée muette, impossible à symboliser. Le pénis réel, comme l’indique Lacan, prend valeur d’objet un-détachable, en trop, non porteur de sa valeur phallique. Il est vide de sens. Cela entraîne une indifférence ou un rejet de ce bout de corps car il s’avère hors sens.
Refus du sexe et castration
Sacha sait que, du fait de la présence de l’organe, il est un garçon. Mais il voudrait être une fille. Cette dysphorie de genre repose entièrement sur le refus du sexe mâle qui passe par la présence réelle de son pénis. L’absence de symbolisation provoque chez le jeune enfant ce sentiment de présence insupportable du pénis. Cette forclusion est-elle liée à l’absence de menace de castration ou au contraire, à sa présence active ? Qu’est-ce que veut dire la menace de castration ? Elle opère à deux niveaux et renvoie d’abord à la castration maternelle. Si la Mère apparaît à l’enfant comme manquante et qu’il veut, de ce fait, la combler, l’angoisse surgira quand il réalisera qu’il ne la satisfait pas entièrement, que la mère reste « inassouvie », comme le dit Lacan. D’autre part, quand l’enfant vient se loger à cette place d’objet de la mère, l’angoisse surgira du fait d’une peur d’être dévoré par elle ou qu’elle veuille lui prendre son phallus. Dès lors, la menace de castration opère. Quand la menace de castration est proférée par le père, ce dernier interdit à l’enfant de jouir de sa position d’objet de la mère. Il s’interpose dans le couple mère-enfant, ce que le père de Sacha n’a pas été en mesure de faire, laissant toute la place à la mère pour exercer sa fonction maternelle, sa « puissance », comme le dit Lacan.
Un désir de maternité
L’angoisse surgit donc quand la menace n’a pas été proférée ou entendue. Elle concerne la castration. Qu’est-ce qui viendrait répondre à un refus de son sexe ? Disons que l’angoisse de castration focalise une réponse en termes de choix qui fasse symptôme pour le sujet comme pour l’Autre. Dans le cas de Sacha, le désir d’être une fille entre en résonance avec le désir de la mère. Il y a là collision de deux désirs. Cela renforce la dimension de rester le phallus qui manque à la mère, ouvrant la voie à s’identifier à elle comme celle qui se satisfait d’avoir des enfants. Un désir de maternité chez Sacha vient pallier l’échec de l’opération-castration. Le désir de maternité, en effet, permet une identification qui est en quelque sorte une sublimation de l’objet phallique ou, pour le dire avec le dernier enseignement de Lacan, un sinthome qui peut venir nouer les trois instances que sont le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire. La maternité vient nouer le pénis réel, la mère symbolique et l’image idéale de soi comme fille. Elle fait suppléance à la forclusion du phallus.
L’habillage, une solution ?
Ce que nous apprend aussi le documentaire, c’est qu’être un garçon ou une fille consiste, pour l’enfant souffrant de dysphorie de genre, en une jouissance à s’approprier les semblants de la féminité. Ainsi en va-t-il des garçons portant des cheveux longs, des bijoux et des habits de fille – l’inverse pour les filles – mais ce n’est pas tout à fait équivalent, celles-ci portant déjà des habits de garçon depuis longtemps… Et, quel que soit son sexe d’origine, chacun cherche à atteindre ⒧ femme à l’horizon de la jouissance à se faire un corps au-delà du phallus. Où l’on voit comment les vêtements de fille ou de garçon ouvrent sur une semblantisation du corps qui suffit parfois à apaiser le sujet. S’habiller selon son choix de sexe garde une valeur d’attribution sexuée qui insère le sujet dans sa dimension d’Autre sexe.