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J51 - La norme mâle, Orientation

De gauche à droite

© D'après J. Fournier.
27/09/2021
Virginia Rajkumar

En 1973, Lacan écrit : « du côté où tout x est fonction de Фx », dans cette part dite homme des êtres parlants, « libre aux femmes de s’y placer si ça leur fait plaisir. Chacun sait qu’il y a des femmes phalliques, et que la fonction phallique n’empêche pas les hommes d’être homosexuels1Lacan J., Le Séminaire, livre xx, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 67.». En nos temps de cacophonie bruyante dans la sexuation, c’est tout le génie « du nouveau2Expression empruntée à Miller J.-A., …du nouveau !, Introduction au Séminaire V de Lacan, Paris, Rue Huysmans, 2000.» de ces formules de la part dite homme et de la part en plus, dite femme, de rendre lisible notre actualité – encore.

Ce nouveau, je le lis des deux côtés du tableau de la sexuation : si la sexuation s’opère dorénavant par la jouissance, et non seulement par l’imaginaire et le symbolique, la part dite femme est supplémentaire, à partir de la jouissance phallique, et au-delà. Ce faisant, posons que, sous la part dite homme, à gauche, se range le premier enseignement de Lacan : de la logification de l’Œdipe freudien au mathème du fantasme, en passant par la différenciation fille/garçon via le jeu des identifications et celui de l’être et l’avoir. Ainsi « la fiction mâle », racontée par Lacan dans « La Logique du fantasme », ne s’écrit-elle pas avec Encore, à gauche, hors considération d’anatomie et de genre, comme fonction phallique où pourtoutx phi (x) ?

Dans « La logique du fantasme », en 1967, Lacan exprime ainsi cette « fiction mâle » : « On est ce qui a. Il n’y a rien de plus content qu’un type qui n’a jamais vu plus loin que le bout de son nez et qui vous exprime la formule provocante : en avoir ou pas. […] et puis on a ce qui est. Les deux choses se tiennent, ce qui est, c’est l’objet de désir, c’est la femme.3Lacan J., Le Séminaire, livre xiv, « La logique du fantasme », leçon du 19 avril 1967, inédit.» On le sait, cette fiction court le risque de virer au drame, le « type » ne l’ayant pas toujours quand il faut. C’est un drame inactuel, dont Ovide fera de la poésie, aux tonalités mélancoliques : « Je l’ai tenue dans mes bras, et je suis resté impuissant ; honte à moi ! qui ne fus qu’une masse inerte sur son lit paresseux. Pleins des désirs qui l’enflammaient elle-même, je n’ai pu réveiller chez moi l’organe du plaisir, hélas ! épuisé. […] Je suis demeuré comme un tronc sans vigueur, comme une statue, comme une masse inutile, et je pouvais douter si j’étais un corps ou bien une ombre.4Ovide, Les Amours, livre iii, Élégie vii, in Œuvres complètes, trad. Nisard M. (dir.), disponible sur wikisource.» Des Grecs aux Pères de l’Église, le fiasco devient le propre de LOM, saint Augustin5Cf. Saint Augustin, La cité de Dieu, livre xiv, chapitre xv. en faisant la conséquence du péché originel et de la chute du paradis, perdu certes, mais occasion là aussi d’une histoire de LOM.

Cette fiction, Lacan va la dire d’emblée « simplette6Lacan J., Le Séminaire, livre xiv, « La Logique du fantasme », op. cit.». Dans « La Logique du fantasme », il la complète « de l’autre côté » par « la valeur homme elle. On n’est pas ce qu’on a […] en d’autres termes, c’est pour autant que l’homme a l’organe phallique, qu’il ne l’est pas, et qui implique que de l’autre côté, on peut et même on est ce qu’on a, ce qu’on n’a pas, c’est-à-dire que c’est précisément en tant qu’elle n’a pas le phallus que la femme peut en prendre la valeur ». En 1967, la valeur « homme – elle » complémente ainsi le répartitoire sexuel qui s’écrit à partir de la fiction mâle.

Avec le tableau de la sexuation, pas d’Aufhebung de la complémentarité entre un côté et l’Autre : il n’y a pas de rapport sexuel. Et à gauche, la part dite homme se soutient encore d’une fiction mâle, mais qui s’écrit désormais pourtoutx phi (x). En 1973, c’est une fiction mâle, en tant qu’elle normâlise et pourtoute, subsumant par exemple tout discours militant qui, de structure, pourtoute toujours. Ainsi, tout LOM – homme, femme, mère – qui s’y range, se trouve armé d’une défense contre la jouissance a-normâle, à droite. Armé mais pour autant pas sans symptôme, s’il n’y a pas non plus, dans la part dite homme, d’adéquation de chaque LOM avec le corps qu’il a et avec la jouissance dont il se défend. Ainsi, tout défense dehors, les MGTOW se retrouvent côte-à-côte de celles qui dénoncent le mal que fait la norme, dans le même panier de gauche ! N’est donc pas à droite qui veut ! N’en déplaise à Paul B. Preciado et sa tentative encore récente de faire du discours de l’analyste l’équivalent du discours du maître7Cf. Greusard R., « Paul B. Preciado, un grand coup féministe dans la psychanalyse (1/3) », L’Obs, 28 mai 2021, disponible sur internet.. Ce n’est en effet qu’à l’occasion d’une fin d’analyse – par exemple – que, peut-être, s’aborde cette jouissance féminine supplémentaire. Et là, aucun universel : la différence absolue.

 


  • 1
    Lacan J., Le Séminaire, livre xx, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 67.
  • 2
    Expression empruntée à Miller J.-A., …du nouveau !, Introduction au Séminaire V de Lacan, Paris, Rue Huysmans, 2000.
  • 3
    Lacan J., Le Séminaire, livre xiv, « La logique du fantasme », leçon du 19 avril 1967, inédit.
  • 4
    Ovide, Les Amours, livre iii, Élégie vii, in Œuvres complètes, trad. Nisard M. (dir.), disponible sur wikisource.
  • 5
    Cf. Saint Augustin, La cité de Dieu, livre xiv, chapitre xv.
  • 6
    Lacan J., Le Séminaire, livre xiv, « La Logique du fantasme », op. cit.
  • 7
    Cf. Greusard R., « Paul B. Preciado, un grand coup féministe dans la psychanalyse (1/3) », L’Obs, 28 mai 2021, disponible sur internet.