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J46 - L'objet regard, Une lecture du discours courant

Arrête de me regarder !

© J. Fournier. Photo P. Metz. LM
27/09/2016
Bruno De Halleux

Trois ans déjà à l’Antenne 110 et cela reste extrêmement difficile. Yuri ne cesse de se plaindre de l’autre, et plus spécialement de l’autre qui ne cesse pas de le regarder. « Il me regarde ! Arrête », aboie-t-il. Le coup part très vite, il frappe l’autre qui le regarde, il frappe le regard qui n’est pas extrait du champ de la réalité.

À son arrivée, il est persécuté par les insectes qui piquent. Un an plus tard, il ne peut s’endormir car il voit des sorcières juchées sur les branches de l’arbre, ces sorcières sont là, elles le regardent. Aujourd’hui, Yuri prend l’initiative de regarder.

Il demande à regarder, mais que regarde-t-il ? Toujours la même chose, il passe en boucle sur Youtube des séquences de films, des séquences ultra-violentes. Ce sont des personnages de films, comme Buzz l’éclair, les zombies, Hulk…

Ces images ne le représentent pas, elles sont Yuri. Il est l’image, il l’incarne, il frappe, il insulte, il bat l’autre à l’image de ses héros.

Où regarde-t-il ces séquences en boucle ? À la maison. Rien ne peut empêcher Yuri de regarder. C’est plus fort que lui. Les parents se disent impuissants, il regarde, il recommence encore et c’est sans fin.

L’image qui le capte sans cesse, est complète. Elle le happe, elle l’aspire. Il n’y a pas la perte inhérente propre à l’objet « regard ». Il est pris dans une image à l’infini où ce qu’il voit est lui et lui est l’image. Un jour, Yuri se regarde dans le miroir, il se crache dessus, il s’insulte.

Du coup, les beignes pleuvent sur l’autre, les enfants, les intervenants.

Quelle invention l’intervenant peut-il trouver pour aborder Yuri sans incarner pour autant un regard malveillant ?

Marie, une intervenante, a trouvé. Yuri est sur le point d’exploser. Elle l’appelle et lui dit : « mon petit fish-stick à la fraise ». Le coup ne part pas, Yuri regarde Marie avec un large sourire, il rit avec elle de ce bon mot.

Nathalie aussi a trouvé. Yuri la croise et lui demande à brûle pourpoint : « T’aime bien la violence ? » Du tac au tac, elle lui répond : « Non ! Pas la violence mais j’aime bien les spaghettis et les pizzas ». Il éclate de rire.

Cela se passe aujourd’hui ! Tout à l’heure, demain, il faudra une nouvelle trouvaille.

Le jeu sur les mots, le jeu sur le « pas de sens » le distrait, l’allège de ce regard omniprésent, de cet objet non extrait qui ne cesse de le persécuter.