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J52 , Sublimations

Antigone ininterprétable

05/11/2022
Marjolaine Mollé

Antigone se présente comme autonomos, pur et simple rapport de l’être humain avec ce dont il se trouve miraculeusement porteur, à savoir la coupure signifiante, qui lui confère le pouvoir infranchissable d’être, envers et contre tout, ce qu’il est.

J. Lacan1Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’Éthique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 328.

À la fin du Séminaire L’Éthique de la psychanalyse, Lacan s’enseigne d’Antigone, figure héroïque de la tragédie de Sophocle. Antigone, fille du désir incestueux et criminel d’Œdipe et de Jocaste, s’oppose d’une manière implacable au roi de Thèbes, son oncle Créon, qui a promulgué une loi interdisant à son frère Polynice d’avoir une sépulture et condamnant à mort celui qui y contreviendrait.

Quelles qu’aient été la vie et les actions de Polynice, Antigone veut que son frère ait des funérailles et que son corps soit recouvert, comme l’exige la loi des Dieux. « Cette pureté, cette séparation de l’être de toutes les caractéristiques du drame historique qu’il a traversé, c’est là justement la limite, l’ex nihilo autour de quoi se tient Antigone. Ce n’est rien d’autre que la coupure qu’instaure dans la vie de l’homme la présence même du langage.2Ibid., p. 325.» Antigone fait le choix décidé d’être la « gardienne de l’être du criminel comme tel.3Ibid., p. 329.» Elle se sacrifie, au nom d’un idéal, pour faire exister le signifiant « frère » dans le symbolique. Cette position lui permet d’énoncer : « mon frère est mon frère […]. Mon frère est ce qu’il est, et c’est parce qu’il est ce qu’il est, et qu’il n’y a que lui qui peut l’être, que je m’avance vers cette limite fatale4Ibid.». Ainsi, « [ce] qui est est, et c’est à cela, à cette surface, que se fixe la position imbrisable, infranchissable d’Antigone5Ibid., p. 325.». Cette position autonome d’Antigone pourrait s’énoncer d’un « je suis ce que je suis ».

Marquée par l’Até, malédiction familiale, malheur des Labdacides, qui fait son destin singulier, Antigone a déjà choisi sa visée vers la mort : « [ma vie] est finie ; il y a longtemps que je l’ai consacrée à mes morts6Sophocle, Antigone, Paris, Flammarion, 1999, p. 66.», ce que Lacan interprète comme : « Je suis morte et je veux la mort.7Lacan J., Le Séminaire, livre vii, L’Éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 327.» Alors Antigone s’avance vers son tombeau, sans crainte : « Telle est mon infortune : je ne serai plus ni chez les humains ni chez les défunts, séparée à la fois des vivants et des morts.8Sophocle, Antigone, op. cit., p. 79.» Antigone n’en veut rien savoir du déterminisme inconscient qui la pousse à se sacrifier, elle fait exister son « je suis » au mépris de sa propre vie.

Ainsi derrière le premier dico « Je suis ce que je suis » qui la détermine, se révèle, dans l’acte d’Antigone, un second dico « Je suis morte et je veux la mort ». La tragédie, par la fonction du beau, vient voiler le désir absolu de mort, en l’habillant d’un idéal.

 


  • 1
    Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’Éthique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 328.
  • 2
    Ibid., p. 325.
  • 3
    Ibid., p. 329.
  • 4
    Ibid.
  • 5
    Ibid., p. 325.
  • 6
    Sophocle, Antigone, Paris, Flammarion, 1999, p. 66.
  • 7
    Lacan J., Le Séminaire, livre vii, L’Éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 327.
  • 8
    Sophocle, Antigone, op. cit., p. 79.