Cartello, 47

Quelle corrélation du sérieux et du comique* ?

06/11/2025
Marine Uguen

Dans son texte de 1927, « L’humour », Freud indique : « tout le monde n’est pas apte à l’attitude humoristique ; c’est là un don précieux et rare, et beaucoup sont même dépourvus de l’aptitude à goûter le plaisir humoristique qui leur est communiqué2. » Alors, qu’est-ce qui rend apte à la possibilité de goûter à ce plaisir ?

Le travail en institution nous confronte à des sujets qui n’ont parfois pas accès au second degré et qui prennent les mots au pied de la lettre. Des sujets qui sont figés par le signifiant, dans une « inertie dialectique3 ». Dans son Séminaire Les Psychoses Lacan nous invite à prendre au sérieux la structure psychotique4, là où nous pourrions ne pas le faire, pris par la dimension du semblant, du fait de l’articulation signifiante qui vient voiler le réel. En nous invitant au sérieux, Lacan nous conduit à serrer le réel en jeu dans la psychose.

En séance, un enfant fait une recherche sur l’ordinateur, « mort – de – rire ». L’expression m’a fait mesurer le sérieux de l’affaire. Cela n’était pas drôle du tout puisque pour lui, comme pour certains, le poids des mots est très sérieux. C’est ce que souligne Lacan dans sa « Conférence aux Universités Nord-Américaines » : « il y en a pour qui dire quelques mots ce n’est pas si facile. On appelle ça autisme. C’est vite dit. Ce n’est pas du tout forcément ça. C’est simplement des gens pour qui le poids des mots est très sérieux et qui ne sont pas facilement disposés à en prendre à leur aise avec ces mots5 ». Ici, surprise, Lacan ne parle pas seulement de l’autisme. Il faut y entendre le sérieux au-delà de la structure, en tant qu’il touche à ce qui ne passe pas par le défilé des signifiants, à ce qui ne s’articule pas, autrement dit, au réel.

Lacan différencie la comédie de la tragédie par la façon dont le sujet prend un certain rapport à la parole6. Si le tragique touche à la prise, la morsure du signifiant sur le corps et l’assignation qui en découle, la comédie y introduit un jeu. Dans un texte préparatoire aux J55, Olivia Bellanco condense alors les choses en une jolie formule : « Il y a donc prise tragique, puis maniement comique de celle-ci7 ».

Si l’éthique de la psychanalyse conduit au comique, c’est en tant que le bien-dire produit un serrage et permet d’extraire le pathos, soit la signification que l’on donne au réel. Alors le tragique se défait et s’entrouvre la possibilité d’un jeu retrouvé avec le signifiant.

Nous cherchons donc, au cas par cas, quel en est le maniement possible, selon la structure, pour réintroduire du jeu, là où il y avait de la fixité. Tel cet enfant, qui, figé par les paroles de l’Autre qui le traversent, ne cessait de dire qu’il était bête et riait seul. Après tout un trajet en institution, il profère un jour un « nom d’une pipe, faites des gosses » qu’il déclinera par la suite, pour jalonner le monde qui l’entoure : « Nom d’un panneau de circulation », « Nom d’un camion bleu », « Nom d’une BMW »… Ce jeu avec les mots, hors-sens, témoigne d’un maniement par le signifiant qui ira au fil des séances jusqu’à des productions de blagues qu’il partage.


* Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Ce qui fait insigne », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 11 février 1987, inédit.

2 Freud S., « L’humour », Le Mot d’esprit et ses relations avec l’inconscient, Paris, Gallimard, 1985, p. 328.

3 Lacan J., Le Séminaire, livre III, Les Psychoses, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1981, p. 32.

4 Ibid., p. 86.

5 Lacan J., « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines », Scilicet, n° 6/7, 1975, p. 42-45.

6 Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre V, Les Formations de l’inconscient, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1998, p. 262.

7 Bellanco O., « À l’ombre du poète comique », Blog des J55, 20 juin 2025, disponible en ligne.