Cartello, 47

Humour, Witz et surmoi

06/11/2025
Sébastien Disdet

Dans l’argument des J55, une référence à Freud me surprend : l’humour est la contribution du surmoi au comique1. Ne fait-on pas habituellement du surmoi un maître sévère ?

Mot d’esprit et humour

Une seconde proposition de Freud peut être mise en tension avec la première : le mot d’esprit est la contribution de l’inconscient au comique2. En effet, le mot d’esprit est une formation de l’inconscient. Son intention échappe parfois au sujet qui l’énonce, surpris par l’hilarité qu’il provoque chez un tiers. Le rire est gain de plaisir, satisfaction pulsionnelle substitutive.

L’humour, quant à lui, apparaît comme un traitement « des réalités extérieures défavorables3 ». Le condamné, conduit à la potence un lundi, s’exclame : « Ah, voilà une semaine qui commence bien ! » Le dit humoristique épargne au sujet l’affect que les circonstances auraient dû provoquer ; ce n’est pas une négation du réel en jeu, mais, comme le dit Carolina Koretzky, un « refus d’être englouti par l’horreur. Au trauma répond ainsi l’absurdité comique4 ». Ainsi, l’humour « ne se résigne pas, dit Freud, il défie5 ».

Freud situe l’humour dans la série des méthodes dont le parlêtre dispose pour se soustraire à […] la douleur : la névrose, la folie, l’ivresse, le repliement sur soi et l’extase. Seule opération qui s’effectue « sans quitter le terrain de la santé psychique », l’humour est une défense sans refoulement qui « proclame l’invincibilité du moi6 ». De ce fait, selon Freud, bien que le plaisir de l’humour soit moindre que celui du mot d’esprit7 – l’humour fait plutôt sourire qu’éclater de rire – on lui attribue pourtant « un caractère de haute valeur », une « dignité8 » qu’on n’accorde pas au Witz.

Humour et surmoi

Mais pourquoi considérer l’humour comme une contribution du surmoi au comique ? Selon Freud, « l’humoriste a retiré à son moi l’accent psychique et l’a reporté à son surmoi ». Celui-ci semble dire : « Regarde ! voilà le monde qui te semble si dangereux ! Un jeu d’enfant ! Le mieux est donc de plaisanter !9 ». C’est un des ressorts de l’autodérision. Pierre Ebtinger le traduit ainsi : « Sous cet angle, il apparaît que le comique, c’est le moi moqué par le surmoi10 »

L’humour est ainsi une défense qui relève du surmoi : celui-ci est, selon Jacques-Alain Miller, « un loustic, un plaisantin, un farceur11 ». Le comique du Witz, quant à lui, surgit par surprise de l’inconscient tel qu’il se manifeste dans la cure12. Celle-ci, en égrenant les signifiants-maîtres, réduit leur valeur surmoïque : ils peuvent ainsi prendre l’accent comique qui donne le « sel qui lui manque13 » au commandement à jouir.

1 Cf. Sokolowsky L., « Argument des J55 », Blog de J55, disponible en ligne.

2 Cf. Freud S., « L’humour », Le Mot d’esprit et ses relations avec l’inconscient, Paris, Gallimard, 1981, p. 399‑408.

3 Ibid., p. 403.

4 Koretzky C., « De l’absurdité d’un deuil au comique de l’absurde », Blog des J55, 18 avril 2025, disponible en ligne.

5 Freud S., « L’humour », opcit., p. 402.

6 Ibid., p. 403.

7 Ibid., p. 407.

8 Ibid., p. 408 & p. 403.

9 Ibid., p. 405 & p. 408.

10 Ebtinger P., « Drôleries de la névrose », Blog des J55, 3 octobre 2025, disponible en ligne.

11 Miller J.-A., « Vicissitudes du valet », Ornicar ?, no 59, Novembre 2024, p. 172‑173.

12 Cf. Delarue A., « Les capsules des J55 : capsule #6 », Lacan Web Télévision, disponible en ligne.

13 Lacan J., « Kant avec Sade », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 769.